Voyage solidaire au Mexique

Développement des communautés indigènes mixtèques
Santa María Yucuhiti (Oaxaca)
Février 2006

Comme ce fut le cas précédemment avec l’organisation de voyages solidaires au Salvador et au Nicaragua, nous envisagions depuis longtemps de nous rendre au Mexique pour y découvrir les projets de développement que nous soutenons aux côtés de « Solidarité laïque » et d’ « Amitiés franco-chiliennes ».

Enrique GÓMEZ, responsable de ERRAC (Enlace Rural Regional Asociación Civil), l’association mexicaine qui gère les fonds et coordonne sur place la réalisation de ces projets, nous rend compte régulièrement des actions réalisées. Nous avons eu par ailleurs le plaisir de l’accueillir à plusieurs reprises à Lons le Saunier lors de ses séjours en France. Ses interventions avaient été particulièrement appréciées grâce à des explications claires et précises sur les objectifs et stratégies mises en place pour les atteindre.Nous avons échangé quelques courriers électroniques avec le Mexique pour faire part de nos intentions et un appel à candidature a été lancé auprès de nos adhérents. Enrique nous avait recommandé d’éviter la saison des pluies d’avril à novembre car nous ne pourrions nous rendre dans les montagnes de l’Etat d’Oaxaca, à Santa Maria Yucuhiti précisément, au sud de la capitale. C’est donc sans regret que notre petite délégation a quitté le froid et la neige de ce mois de février pour des températures plus clémentes sous le soleil mexicain.

Après un vol de nuit qui nous amène de Madrid où nous avons fait escale, notre avion survole pendant plusieurs minutes la ville à basse altitude avant d’atterrir sur l’aéroport Benito Juarez de Mexico. En raison du développement de cette ville tentaculaire qui dépasse aujourd’hui les 20 millions d’habitants, l’aéroport se trouve pratiquement en pleine ville, à 10 kilomètres à peine du centre. Située à 2.300m d’altitude, c’est probablement la plus grande agglomération du monde.
Il est encore très tôt, mais Enrique est bien là pour nous accueillir. Les retrouvailles sont chaleureuses, je lui présente mes compagnons et tout en bavardant, nous nous dirigeons vers une des nombreuses officines qui nous invitent à échanger au meilleur taux nos euros contre des pesos mexicains.
A travers de larges avenues au trafic automobile encore réduit en ce dimanche matin, un taxi nous conduit ensuite jusqu’à notre hôtel situé tout près de la place de la Constitution, plus connue sous le nom de « zócalo ». Cette vaste place animée où se déroulent les grands événements de l’histoire du Mexique a été construite par Cortés à l’emplacement d’un grand marché aztèque alors que la ville s’appelait encore Tenochtitlán. Les espagnols utilisèrent la pierre volcanique des pyramides et édifices indiens pour y construire les monuments qui entourent la place, notamment la cathédrale et le Palais national. L’entrée principale de cet édifice est surmontée de la cloche de la Liberté et du fameux balcon depuis lequel les présidents de la République commémorent chaque année le 15 septembre le fameux « Cri de Dolores » poussé par le curé Miguel Hidalgo en 1810 pour inciter les mexicains à prendre les armes contre les espagnols. A l’intérieur de ce qui fut la résidence des vice-rois d’Espagne et des présidents de la république jusqu’au XIXème siècle, c’est une véritable promenade à travers l’histoire du Mexique qui attend le visiteur avec les impressionnantes fresques de Diego Rivera.
Après avoir parcouru les rues et places du centre historique au milieu d’une foule dense et bruyante, nous nous rendrons les jours suivants vers quelques uns des lieux symboliques de la ville, tout d’abord la place dite « des trois cultures » puisqu’elle réunit sur un même lieu les trois grandes cultures qu’a connues le Mexique, aztèque, coloniale et moderne. C’est là également qu’en octobre 1968, quelques semaines avant les jeux olympiques, eurent lieu de violents affrontements entre étudiants et forces de l’ordre.
Autre lieu incontournable, les basiliques de Guadalupe, car il y en a deux : celle où se trouve aujourd’hui l’image miraculeuse de Notre Dame de Guadalupe, patronne des mexicains vénérée dans toute l’Amérique latine, et l’église d’époque coloniale toujours en restauration suite à l’affaissement du sous-sol et aux dégâts causés par les nombreux tremblements de terre.
Après avoir encore visité le site toltèque de Teotihuacán abandonné mystérieusement au VIIème siècle de notre ère avec ses spectaculaires pyramides du Soleil et de la Lune, nous terminerons notre séjour dans la capitale par les fameux jardins flottants de Xochimilco et ses canaux sur lesquels des barques à fond plat appelées « trajineras » promènent les touristes au son des orchestres des célèbres « mariachis ».
Ce soir, nous allons prendre un bus et voyager toute la nuit pour nous rendre à 500 km plus au sud, à Putla très exactement, où nous serons pris en charge par les responsables des communautés de Santa María Yucuhiti. Enrique s’était rendu sur place avant notre arrivée pour organiser notre séjour et prévoir les détails de nos visites avec les autorités locales.

Putla, dont le nom complet est Villa de Guerrero, en l’honneur de Vicente Guerrero héros de l’indépendance du Mexique, est une petite ville de 25.000 habitants où l’agriculture et l’élevage représentent 80 % de l’activité économique : canne, maïs, haricots rouges, café et arbres fruitiers. Nous y arrivons au petit matin après un voyage de 10 heures en bus.
C’est là que nous avons rendez-vous avec ceux qui nous accompagneront pendant notre séjour. Nous faisons la connaissance de Rafael VÁSQUEZ, membre de la municipalité chargé d’assurer la direction technique des projets de développement ainsi que d’autres personnes appartenant aux communautés mixtèques. A bord de deux véhicules 4X4, nous quittons Putla, à 750 mètres d’altitude, pour nous diriger vers les montagnes que nous apercevons au loin au milieu des nuages. Nous commençons par une portion asphaltée, mais pour peu de temps. Nous comprenons plus tard pourquoi les chauffeurs se sont arrêtés à un carrefour pour bâcher la camionnette pick-up transportant nos bagages. Nous sommes en saison sèche et les voitures soulèvent sur leur passage un nuage de poussière. La distance est d’une vingtaine de kilomètres seulement mais il nous faudra plus de 2 heures par une route sinueuse et pentue pour atteindre Santa María Yucuhiti. On imagine aisément les difficultés de communication en saison des pluies et l’isolement des populations, car la piste devient vite impraticable et dangereuse en raison des nombreux éboulements dus au ravinement.
Fortement peuplée pour une zone montagneuse, la Municipalité compte plus de 5.400 habitants regroupés dans 44 hameaux où vivent plus de 1.100 familles. Notre première visite sera pour la Colonia Chapultepec appartenant à la communauté Zaragoza. Il s’agit de l’une des plus importantes parmi les 9 communautés que compte la Municipalité de Santa María Yucuhiti.
Nous nous rendons d’abord en compagnie d’une dizaine d’hommes du Comité de l’eau sur le lieu de captage d’une source. Les sources sont assez nombreuses dans ces parages, mais la nature du relief du sol et la déforestation entraînent une déperdition du précieux liquide. D’où la nécessité de protéger en premier lieu la source de toute pollution et de capter l’eau là où elle sort de terre pour ensuite la stocker. Avant cela, la procédure est toujours la même. Les chefs de foyers concernés par le projet hydraulique se réunissent en assemblée et nomment un Comité de construction chargé d’organiser les travaux, de solliciter une assistance technique, de distribuer les tâches et de veiller au bon déroulement des opérations. Le responsable du Comité local nous explique donc que 16 familles ont participé à la construction de ce projet représentant plus de 450 journées de travail communautaire gratuit appelé « tequio ». Toutes ces familles bénéficient maintenant d’eau potable pour l’usage domestique mais également pour l’irrigation de petites parcelles de maïs et de haricots, bases de leur alimentation. Nos accompagnateurs ont insisté sur les difficultés rencontrées car le matériel a été transporté le plus souvent à dos d’hommes sur des sentiers accidentés. L’eau est ensuite acheminée sur une distance d’un kilomètre environ par une conduite en acier galvanisé vers un réservoir de stockage d’une capacité de 18m3. Nous avons constaté que malgré l’absence de pluies, le trop-plein du réservoir fonctionnait, ce qui laisse supposer que le débit de la source est pratiquement constant mais également que la consommation d’eau est gérée de façon équitable, efficace et responsable. De cette construction de pierres et de ciment, partent 4 branches qui desservent les différentes habitations bénéficiaires. Il serait d’ailleurs facile de s’y rendre en suivant tout simplement les tuyaux qui courent à même le sol en raison de la nature rocheuse du terrain qui, la plupart du temps, ne permet pas de les enterrer.
C’est dans un de ces hameaux, Esperanza, que nous avons ensuite été reçus chaleureusement par des familles fières de nous montrer les avantages qu’elles tiraient de l’arrivée de l’eau jusque chez elles. Dans une des maisons où une immense table a été dressée, une rencontre est prévue avec les comités de femmes organisés par des animatrices mixtèques selon les mêmes principes que ceux de l’eau. Il s’agit d’un autre volet de l’aide apportée aux communautés mixtèques par l’intermédiaire de ERRAC: encourager le travail en commun, valoriser le rôle des femmes, et les préparer à l’élevage de volailles et à la production de légumes en potager. En plus des animaux et des médicaments pour prévenir d’éventuelles maladies chez les poules pondeuses ou les poulets d’élevage, chaque foyer reçoit le matériel nécessaire à la réalisation du poulailler, planches, grillage de clôture, ainsi que les semences pour la production horticole. Les animatrices ont reçu une formation en matière d’élevage, de santé et de nutrition. L’une d’elles nous a présenté en détail les objectifs du programme ainsi que l’état des réalisations. Après les remerciements d’usage que j’ai adressés au nom de notre groupe et une brève présentation de notre association, Rafael est intervenu, comme il le fera d’ailleurs à chaque rencontre, pour traduire mes propos en mixtèque, langue qui reste pratiquée par l’ensemble de la population adulte. Puis la parole a été donnée aux bénéficiaires qui ont intégré le projet il y a seulement quelques mois. Avec des mots simples et émouvants parce qu’ils sont exprimés dans une langue espagnole que certaines maîtrisent mal, les intervenantes se montrent enthousiastes et reconnaissantes pour les aides reçues. Elles souhaitent faire profiter de leur expérience d’autres groupes intéressés et nous demandent d’intervenir en France afin que cette aide continue et s’amplifie. Elles nous remettront un document écrit sur deux pages de cahier d’écolier pour appuyer leur demande. Après le repas où les conversations se sont poursuivies dans une ambiance conviviale et animée, nous avons été invités à visiter les poulaillers et potagers avant de repartir vers d’autres communautés, bien convaincus que ces initiatives méritent d’être encouragées et soutenues financièrement.
Au cours de cette même après-midi, nous nous rendrons dans une nouvelle communauté, Miramar, toujours accompagnés de notre groupe de femmes, pour y découvrir un autre captage, un autre réservoir de stockage et des potagers. La journée s’achèvera dans la maison de la famille Castro García où nous rencontrerons le groupe de femmes de Yerbasanta. Après le repas, nous passerons la nuit dans cette famille. Une chambre y a été spécialement aménagée pour nous accueillir dans un bâtiment construit en parpaings et couvert de tôles. Nous y disposons non seulement de l’électricité mais également du téléphone. Le lendemain, de très bonne heure, notre hôtesse est déjà occupée avec une de ses filles à la préparation des délicieux « tamales » qui accompagneront le café « produit maison » du petit déjeuner. C’est un délice.
Nous quitterons bien sûr à regret cette famille car une autre visite nous attend, cette fois avec les autorités municipales de Santa Maria Yucuhiti au siège du pouvoir exécutif. Autour d’une petite place agréable sur laquelle de jeunes basketteurs disputent une partie acharnée, se trouvent l’église, un kiosque à musique, une boutique communautaire, un centre d’éducation artistique, même un petit musée consacré à l’histoire de la région, et naturellement le palais municipal où nous attendent les principaux conseillers en l’absence du premier magistrat retenu dans la capitale. Présentations, discours protocolaires et échanges chaleureux, enfin remise symbolique d’un chèque de 1.000 euros de la part du CALJ.
Tout au long de cette journée, nous parcourrons la montagne, tantôt à pied, tantôt en voiture et nous visiterons d’autres projets hydrauliques, certains achevés, d’autres sur le point de l’être. Nous rencontrerons encore des comités de femmes récemment formés.
Un témoignage nous a particulièrement bouleversés, celui d’une femme qui prit tout à coup la parole et se mit à parler en mixtèque pendant plusieurs minutes, les larmes aux yeux. Elle nous remerciait de venir de si loin pour apporter un peu de réconfort et d’espoir à des communautés indigènes si pauvres et si isolées. « Ne nous oubliez pas, nous n’avons rien à vous donner, mais souvenez-vous de nous quand vous serez rentrés ».
Notre séjour en terre mixtèque est sur le point de s’achever, nous arrivons dans la Communauté de Pueblo Viejo au milieu de paysages d’une grande beauté. Les enfants de l’école primaire à qui on a annoncé notre venue nous attendent depuis plusieurs heures avec leurs maîtres lorsque nous faisons enfin notre entrée. D’abord intimidés par notre présence, leurs visages s’illuminent lorsque nous déballons devant eux les nombreux cadeaux que nous leur apportons.
Une toute dernière rencontre avec des groupes de femmes, un dernier repas pris avec ces gens attachants et nous redescendons vers Putla. Demain, nous reprendrons la route et poursuivrons notre périple mexicain.

Après ces deux journées passées en compagnie des communautés indigènes de Yucuhiti, nous avons été impressionnés par la chaleur de l’accueil que nous avons reçu partout où nous sommes allés. Nous rapportons une multitude de souvenirs et d’images qui resteront gravés dans nos mémoires mais également sur la pellicule de nos appareils photo. Il était important en effet de témoigner, de rendre compte de ce que nous avons vu, entendu et vécu afin que ces populations puissent être entendues. Nous avons constaté avec satisfaction combien notre aide, aussi modeste soit-elle, est appréciée dans les montagnes de Oaxaca. Espérons donc qu’à travers ce témoignage, elles le seront et que les demandes qui nous ont été transmises puissent devenir un jour réalité. C’était l’objectif de ce voyage « solidaire » en terre mixtèque.

Bernard VANNIER

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