BOLIVIE (2) Pauvreté, routes et développement (novembre 2011)

( www.alainet.org)

“ Celui qui vous parle ici n’est ni indigène ni paysan ni gouvernant, rien qu’un ancien de la tribu qui apporte quelques souvenirs instructifs. ” (Rafael Puente)

La longue marche.
La VIIIème marche indigène arrive enfin à La Paz, et les 65 jours d’efforts se voient récompensés, non seulement par la satisfaction d’être arrivés,  mais aussi par la solidarité et la réception enthousiaste du peuple de La Paz. En outre les rancœurs sont calmées, et le Gouvernement arrive, montrant tout le respect que mérite la marche. Mieux encore, le Président a fait parvenir avant son arrivée, une invitation formelle pour le début du dialogue tant souhaité.

Jusqu’ici tout va bien, au moins beaucoup mieux qu’il y a trois semaines, mais le problème de fond demeure. Que sortira-t-il du dialogue ? D’après ce qu’on peut entendre des deux côtés,  les positions sont toujours irréductibles. D’une part les peuples indigènes continuent d’exiger que l’on ne sacrifie pas la Terre Mère pour une route, et d’autre part gouvernants et dirigeants paysans insistent sur le fait que la route génère le “ développement ”, et surtout sur le dramatique niveau de pauvreté des communautés indigènes qui vivent dans le TIPNIS  et sur l‘intérêt que montrent beaucoup de ces communautés pour une route qui leur permette d’améliorer leurs tristes conditions de vie.

Le peuple Yuracaré.
Si vous relisez les écrits de Jorge Alejandro Ovando Sanz, qui consacra une grande partie de son énergie à l’étude de nos peuples indigènes, vous trouverez des descriptions admiratives et enthousiastes sur la capacité culturelle et organisative du peuple Yuracaré, au point de le qualifier de “ peuple le plus remarquable ” parmi les peuples des Basses Terres. Cependant aujourd’hui le peuple Yuracaré se trouve  réduit à sa plus minime expression, diminué en nombre, dispersé géographiquement, avec une présence bien réduite dans la CIDOB  (Conférence des Peuples Indigènes de Bolivie). Que s’est-il passé ?

Il s’est passé qu’à son territoire ancestral arriva une route, rien moins que la route qui conduit de Cochabamba à Santa Cruz. Et avec la route, ce qui leur arriva, ce ne fut ni le développement ni la fin de leur pauvreté ; ce fut une avalanche de colonisateurs qui peu à peu finirent par les expulser de leurs terres d’origine, de sorte qu’aujourd’hui il ne reste plus ici de famille Yuracaré, ils ont dû émigrer, se réfugier dans le TIPNIS, parce que ce “ développement ” que supposait la route était pour d’autres, mais pas pour eux. Où iront-ils maintenant, si le TIPNIs à son tour bénéficie d’une autre route de “ développement ”, également pensée pour d’autres ?

Que s’est-il passé avec Ascensión de Guarayos ?
En 1978 j’ai connu la capitale du peuple Guarayo, il m’a fallu arriver en avion vu qu’il n’y avait pas de route. Elle était peuplée par un total de 600 familles Guarayas, plus 17 karayanas clairement identifiés. En 1991, 13 ans après seulement, je revins à Ascensión pour l’inauguration de la nouvelle province de Guarayos, et je me rendis compte que le peuple de cette province s’était converti en population presque totalement quechua, laissant les familles guarayas reléguées à l’écart.

Que s’était-il passé ? La même chose, la route était arrivée, et avec la route les camions, et avec les camions les entreprises de Cochabamba, et  dans leur bourse les dollars nécessaires pour acheter aux Guarayas leurs maisons, de sorte qu’en peu de temps le village avait changé de propriétaires. Une fois de plus il s’agissait d’une route qui n’était pas prévue pour le “ développement ” d’un  peuple qui vivait tout simplement bien, en harmonie avec la nature, mais pour une conception colonisatrice, assoiffée d’accumulation, de croissance économique, de besoin de vivre mieux.
Quelqu’un a-t-il une garantie que l’expérience de Yuracaré et de Guarayos ne se répétera pas dans le TIPNIS ? Qu’il nous dise son secret !

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