HONDURAS : Pourquoi tant de violences dans le Bajo Aguán ? (octobre 2012)

(www.adital.org.br)

Au Nord du Honduras, dans le département de Colón, le fleuve Aguán se jette dans la mer des Caraïbes. Sa vallée, appelée le Bajo Aguán, est une région de plantations : des palmiers à perte de vue, qui fourniront l’huile de palme destinée à la consommation et/ou aux agro-carburants.

C’est aussi la région où se commettent de nombreuses atteintes aux droits  humains, en particulier depuis juin 2009, date du coup d’Etat qui écarta du pouvoir le président Manuel Zelaya. Depuis, une soixantaine de membres d’organisations paysannes ont été assassinés, ainsi que deux journalistes, et une intense répression persiste, avec des arrestations et des menaces, sans que l’Etat  entreprenne des enquêtes et dans une totale impunité.
Fin août plusieurs centaines de paysans s’étaient réunis devant la Cour Suprême de Justice pour exiger pacifiquement une réunion avec le président de ce pouvoir. Mais la revendication se termina par l’intervention musclée de la police et l’arrestation d’une vingtaine de personnes.

Face à cette situation, 14 organisations de différents pays se sont adressées à l’Etat hondurien et aux autorités internationales pour susciter une réaction sérieuse. Les organisations signataires du communiqué appellent l’Etat hondurien à enquêter sur tous les délits et violations des droits des personnes commis dans le Bajo Aguán, à mettre fin à la répression et à adopter des mesures effectives et urgentes pour protéger les personnes. L’Etat doit aussi abolir les expulsions forcées et chercher des solutions pacifiques et durables aux demandes des paysans. Les 14 organisations font remarquer qu’il s’agit du conflit agraire le plus grave d’Amérique Centrale depuis 15 ans, par le degré de violence utilisé contre les paysans.

Les origines du conflit agraire.

La basse vallée de l’Aguán est un immense tapis vert, un paradis agricole où se sont installées des multinationales comme la United Fruit Company, avec ses camions parcourant jour et nuit la « Carretera Panamericana »; avec de puissants propriétaires terriens  comme MIguel Facussé et ses 16 mille hectares de terres; avec une armée de « guardias » privés pour surveiller la route et les fincas; et plus de trois mille  paysans pauvres et sans terre.

Il y a trois ans, les profondes différences entre ces hommes et femmes pauvres, et les propriétaires terriens millionnaires se sont exprimées soudainement, dans une révolte pacifique et inattendue : un millier de paysans ont occupé l’usine El Chile, qui transformait l’huile de palme de la corporation Dinant, l’entreprise insigne de Miguel Facussé.

Cette occupation causa des pertes de plusieurs millions de dollars à Dinant, parce que dans un monde qui connait une crise énergétique croissante, les dérivés de l’huile de palme génèrent chaque jour des millions de dollars de profit. L’huile de palme est le 4ème produit d’exportation au Honduras, et au cours des dix dernières années, elle a placé le Honduras parmi les dix principaux producteurs du monde.

Mais au-delà de l’aspect économique, l’occupation d’usine avait une valeur symbolique : pour la seconde fois en dix ans, les paysans de cette zone agissaient en révolutionnaires : ils exigeaient plus de terres pour les pauvres en prenant des terres aux riches.

Ils s’inspiraient de ceux qui, en 2000, avaient pour la première fois occupé des terres dans le Bajo Aguán. La région tentait alors de se relever du désastre causé par l’ouragan Mitch en 1998 : le Honduras est le pays qui avait le plus souffert  : inondations, ponts détruits, rivières déplacées, glissements de terrains… Plus d’un million de sinistrés, cinq mille morts et huit mille disparus.

Alors, de tous les coins du pays, une foule de paysans s’achemina vers la vallée de l’Aguán, qui en d’autres temps avait été un eden de productivité agricole, d’emplois, de stabilité, mais que le nouveau siècle avait convertie en système confus d’achats et ventes, de coopératives paysannes détruites, d’escroqueries, de corruption.

Tout cela, les paysans le savaient, mais même ainsi les familles marchaient, portant leurs machetes, un peu de linge, quelques animaux de basse-cour, et les enfants. Ils disaient que si la terre avait appartenu un jour aux paysans, elle devait retourner aux mains des paysans. Ils disaient que l’Etat ne pouvait les laisser mourir de faim.

Ils s’installèrent sur les terres de l’ancien Centre Régional d’Entrainement Militaire, le campement où les Etats-Unis entrainaient les armées d’Amérique Centrale aux tactiques contre-insurrectionnelles, il y a plus de 30 ans, dans les années 80. Ils arrivèrent là et y demeurèrent. Après des mois de négociations, les paysans acceptèrent de s’installer sur une portion de terre suffisamment grande pour leurs cultures, leurs habitations et leur famille.

Quant aux  paysans de 2009, réunis sous le nom de Mouvement Unifié des Paysans de l’Aguán (MUCA), ils firent de même mais en plus ils s’armèrent. Le Président Zelaya tenta de diluer le mouvement en négociant des remises de terres et en promettant des solutions futures mais le coup d’Etat de juin 2009 ne lui permit pas de mener à bien son initiative.

Le mouvement grandit et s’organisa. Au premier semestre 2010, ils avaient occupé 23 plantations, dans une opération qui paralysa la production de plus de vingt mille hectares de terres, l’équivalent de la capitale Tegucigalpa. Le 10 décembre, 200 paysans occupèrent 950 hectares de la finca La Confianza; le 22 décembre ce fut la finca San Isidro, puis le 26 La Aurora et le 5  janvier la finca Concepcion.

Le gouvernement de Porfirio Lobo élu fin 2009 et au pouvoir le 27 janvier suivant, fut débordé. par ces actions et ne put faire grand chose. Les occupations continuèrent. Le nouveau président tenta de se poser en intermédiaire entre les paysans et les propriétaires terriens, avec à leur tête Miguel Facussé, propriétaire de 12 des 23 fincas occupées. La médiation réussit à ce que les paysans acceptent de rendre la majorité des terres à leurs propriétaires légitimes, tout  en s’installant sur 4000 hectares et en échange de promesses de ventes et achats, de nouvelles mesures et d’actions juridiques  qui devaient définir s’il était légal qu’un petit groupe de propriétaires garde tant de terres en son  pouvoir.

Ainsi se déroula le conflit : le gouvernement négociant séparément avec chaque groupe, et avec les deux bandes armées qui s’affrontaient. Les faits sont témoins. La haine a grandi durant les trois années entre les deux bandes armées. Et le conflit continue de faire des morts. Comme les trois « guardias » qui, en janvier 2010, cinq semaines après l’occupation de la finca La Aurora, croyaient que la police avait délogé les usurpateurs. Mais ils tombèrent sur les paysans armés, décidés à préserver à tout prix la terre conquise. Tous trois furent abattus.

Pour les plus de 60 morts causés par la guerre du Bajo Aguán, il n’y eut aucune arrestation. Les « guardias », eux, ont vengé les leurs par la voie des armes, dans d’autres affrontements, d’une autre façon.…

Ce contenu a été publié dans Les brèves, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 Responses to HONDURAS : Pourquoi tant de violences dans le Bajo Aguán ? (octobre 2012)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.