PARAGUAY : Les nostalgiques de la dictature. (mai 2013)

(RLP – Rebelion – Adital)

Le 22 avril dernier, les présidentielles portaient au pouvoir Horacio Cartes, 56 ans, du parti Colorado, avec 46 % des votes. Son adversaire, Efrain Alegre, n’obtenait que 36,84 % des suffrages, mais les deux hommes présentaient le même programme libéral.

Horacio Cartes est l’un des hommes les plus riches du pays. Il est accusé par ses opposants d’être lié au trafic de drogue et à la contrebande, et d’avoir sa banque sur mesure dans les îles Cook, petit paradis fiscal très apprécié. Condamné en 1985 pour trafic de devises, il a été poursuivi par la justice brésilienne pour contrebande de cigarettes.
Il adhéra au Parti Colorado en 2009. Avant d’entrer en politique, il fut dirigeant d’un club de foot et actionnaire d’une vingtaine d’entreprises liées aux secteurs financiers, de l’industrie du tabac et de l’élevage, ce qui lui créa une image de bon administrateur. Toutefois il ne put effacer ses liens avec le narcotrafic et le blanchiment d’argent…

Quant au candidat évincé, il était ministre des Travaux Publics de 2008 à 2011; accusé d’un détournement de 30 millions de dollars, il fut destitué par Fernando Lugo, alors président de la République.

Lugo.
Fernando Lugo avait été démis de ses fonctions le 22 juin 2012, par une procédure d’urgence instaurée par un Sénat majoritairement de droite, et sous le prétexte d’avoir mal géré un affrontement ( programmé) entre policiers et paysans, qui s’était soldé par 17 morts dont 7 policiers. Fernando Lugo était vraiment « l’évêque des pauvres » dans son diocèse déshérité de San Pedro. Il entendait bien, comme président, réduire la pauvreté dans ce pays si inégalitaire. Son programme comportait la pire difficulté : la redistribution des terres, dont 80 % sont détenues par 2 % de la population.

Mais face au Parlement majoritairement de droite, il ne put mener à bien ce projet. Il s’affronta à la fois aux propriétaires fonciers, aux producteurs de soja pour avoir voulu réguler l’usage des pesticides, et aux grandes entreprises de l’agrobusiness comme Monsanto et Cargill. Il était aussi mal vu par le Vatican pour ses options progressistes. Son élection, le 15 août 2008, avait mis fin à 61 ans de pouvoir du Parti Colorado.

Le Parti Colorado.
Le Parti Colorado fut fondé en septembre 1887 par le général Bernardino Caballero, survivant de la guerre de la Triple Alliance contre Argentine, Brésil et Uruguay (1864-1870). Les Colorados se disputèrent le pouvoir avec les libéraux, fondés la même année, dans une vie politique marquée par la violence. Le Parti Colorado conservateur, nationaliste et « agrairiste », dirigea le pays jusqu’en 1904, puis le Parti Libéral gouverna jusqu’en 1946. En 1947 une cruelle guerre civile déchira le pays en faisant dix mille morts, et  les Colorados reprirent le pouvoir.

Le général Alfredo Stroessner prit le pouvoir en 1954 après un coup d’Etat. Il permit qu’un secteur libéral complaisant participe au Congrès pour donner une façade démocratique à son gouvernement. Né dans la société allemande du Paraguay, il fut un relais pro-américain en Amérique du Sud et un nostalgique du nazisme. Ses 8 mandats présidentiels, jusqu’en 1989, furent marqués par les fraudes électorales, les assassinats,  les disparitions et trois millions d’exilés.

En 1989, Stroessner fut renversé par son beau-père, le général Andrès Rodriguez, dans un coup d’Etat militaire qui fit une cinquantaine de morts. Par la suite, le Parti Colorado fut représenté par des civils jusqu’en 2008 mais continua de sombrer dans le discrédit.
Aujourd’hui, le nouveau président, Horacio Cartes, qualifie la présidence Stroessner  de « période d’ordre et de progrès »…

Et la gauche ?
Les résultats électoraux n’ont pas été bons pour les groupes de gauche. En juin 2012, l’acceptation par Lugo et son équipe de se soumettre au coup d’Etat parlementaire au lieu d’en dénoncer fermement l’existence, avait  généré une grande frustration collective.

La rupture de l’unité de la gauche quatre mois plus tard apparait comme la principale raison de la déception d’un large secteur citoyen et des résultats électoraux. Une grande partie des électeurs progressistes considèrent que cette division est le fruit de disputes stériles et individualistes. Dans ces élections, la gauche (Frente Guasu qui présenta Lugo comme premier sénateur, et Avanza País) est devenue une troisième force politisque fragile avec 15 % des voix.

Situation actuelle.
Cartes se targue d’avoir le « pouvoir total ». Il a en effet 19 sénateurs sur 45,  la majorité absolue en députés (44 sur 80) et le gouvernement local de 12 départements sur 17.
L’horizon est moins rose pour les petites gens. Déjà après le coup d’Etat  de juin 2012, le président par intérim Federico Franco s’était empressé de supprimer la médecine gratuite pour les habitants sans ressources ainsi que les allocations pour les vingt mille familles les plus démunies. A la trappe aussi les nouvelles lois sur l’éducation et l’aide sociale aux paysans. Persécutions politiques et licenciements massifs, volonté de faire disparaitre les organisations syndicales…

Nul doute que Cartes continuera sur cette voie.  Le retour du Parti Colorado n’implique pas seulement que ce groupe aura « le pouvoir complet », mais aussi que de graves conséquences économiques se préparent, telles que l’expansion de l’agrobusiness du soja et du bétail, l’expulsion des paysans vers les ceintures de pauvreté des principales zones urbaines du pays, la défense des intérêts de l’oligarchie locale, la récupération des liens historiques avec les Etats Unis qui auront ici une base d’opérations stratégiques pour contrôler le Cône Sud…

Pour l’analyste politique Victor Barone, « le  poids idéologique de tant d’années d’anticommunisme continue d’être dominant… Ce groupe économique dominant est totalement réactionnaire et anti-populaire. La gauche du Frente Guasu aura l’énorme responsabilité de freiner les projets conservateurs et réactionnaires… »

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