VENEZUELA : Comment la plupart des journalistes occidentaux ont cessé d’appuyer la démocratie en Amérique Latine (mars 2014 )

(Article de Thierry DERONNE, publié par ALAI)

Le 7 mars 2014, la nouvelle présidente du Chili Michelle Bachelet a été on ne peut plus claire : “nous n’appuierons jamais un mouvement qui refuse le résultat des élections et cherche à renverser par la violence un gouvernement élu librement et démocratiquement”. La présidente argentine Cristina Fernandez rappelait le 1er mars qu’”indépendamment des idées, nous devons défendre la démocratie et condamner la tentative de coup d’État contre la République Bolivarienne”.

C’est un fait : alors que la plupart des présidents et des mouvements sociaux d’Amérique Latine rejettent l’insurrection de l’extrême droite au Venezuela, les journalistes occidentaux sont passés en quarante ans de la dénonciation du coup d’État contre Salvador Allende à la justification – active ou conformiste – du plan qui visait à renverser un gouvernement qui a « organisé 19 scrutins en 14 ans » (Dilma Roussef, 24/2/2014).

Serait-ce parce que l’irruption du suffrage universel dans les sociétés latino-américaines porte au pouvoir des politiques qui s’émancipent du dogme du libre marché ? Est-ce l’inculture historique ou le formatage qui règnent dans les écoles de journalisme ? Quarante ans de concentration privée des médias et d’involution idéologique font que la majorité des journalistes occidentaux sont devenus capables d’oublier les décisions des électeurs (validées par les observateurs internationaux), de transformer des paramilitaires ou des militants d’extrême droite en “combattants de la liberté”, et de faire d’un État qui ose défendre les institutions démocratiques un “État répressif”.

Au Venezuela, les membres d’ONGs indépendantes des droits humains dénoncent les mensonges quotidiens des médias internationaux qui reproduisent la version de la droite, de ses médias privés et de ce fait encouragent la poursuite des violences. Nicolas Maduro (dont l’image a été travaillée dès son élection pour en faire, comme on l’a fait de Hugo Chavez, un personnage autoritaire, populiste, futur dictateur, etc..) est comme vient de le rappeler le président Correa “un humaniste, qui ne réprimerait jamais son peuple”. La quinzaine de policiers qui ont désobéi aux ordres de ne pas user d’armes à feu ont été aussitôt arrêtés. Cette mesure est significative d’une volonté politique de mettre fin à l’impunité au Venezuela.

Le hasard des dates a fait qu’au moment où des groupuscules paramilitaires déclenchaient les premières violences à la frontière avec la Colombie , le gouvernement Maduro faisait ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait voulu faire : rendre justice et indemniser 112 familles des victimes du “Caracazo”, massacre de deux à trois mille personnes par l’armée, ordonné par le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez pour écraser la rébellion populaire anti-FMI du 27 février 1989. Les militaires vénézuéliens, à l’époque, étaient formés aux États-Unis par la School of Americas, pourvoyeuse de bourreaux à tout le Cône Sud.

Cette triste époque prit fin avec la décision de Chavez de rompre les accords avec le Pentagone et d’humaniser l’armée, notamment en l’impliquant dans les missions sociales. Il reste cependant des nostalgiques de cette nuit de terreur et d’apartheid social, notamment parmi les étudiants des quartiers riches qui jouent aujourd’hui pour les caméras leur “révolution” sans peuple. En assassinant sélectivement des militaires et des policiers, l’extrême droite paramilitarisée de Leopoldo Lopez et de Maria Corina Machado recycle une technique conseillée par la CIA pour déstabiliser Salvador Allende en 1973. Le gouvernement bolivarien a évité de tomber dans la provocation et le président Maduro a multiplié les initiatives de dialogue, allant jusqu’à proposer, le 15 mars, aux dirigeants de la droite universitaire une rencontre retransmise en direct à la télévision pour “dire tout ce qu’ils veulent dire”.

La tentative de coup d’État a échoué mais il est clair que toute mesure prise par le gouvernement pour défendre les institutions démocratiques sera aussitôt transformée par le Département d’État ou par les médias internationaux en “durcissement-de-la- répression-au-Venezuela”.

Au Salvador, à peine connue la victoire du candidat de gauche Sanchez Cerén aux présidentielles du 9 mars, l’extrême droite a réagi comme au Venezuela, manifestant violemment et appelant les militaires à rejeter la décision des électeurs. L’Amérique Latine est aujourd’hui assez forte et solidaire pour faire échec à ces putschismes médiatiques et pour défendre son droit à élire qui elle veut quand elle veut (4). En revanche la régression journalistique et la sédimentation en vérité de quinze ans de désinformation ont de quoi rendre inquiet sur l’avenir de la démocratie occidentale.

Thierry Deronne, Caracas, 16 mars 2014.

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Thierry Deronne
Thierry Deronne est licencié en Communications Sociales (IHECS, Bruxelles). Après un passage (1986-1988) par l’éducation populaire du Nicaragua révolutionnaire, il s’établit au Venezuela où il vit et travaille depuis 17 ans. Fondateur de l’École populaire et Latinoaméricaine de Cinéma (1995), cofondateur des télévisions associatives Teletambores et Camunare Rojo Tv, ex-vice-président de la télévision publique Vive TV (www.vive.gob.ve ) où il a créé notamment le programme “cours de cinéma”. Réalisateur de documentaires sur l’Amérique Latine (Le passage des Andes (2005) sur les racines bolivariennes du Venezuela ou Carlos, l’aube n’est plus une tentation consacré à la vie du fondateur du Front Sandiniste Carlos Fonseca Amador (en cours de post-production).

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