PEROU – L’abattage illégal du bois et les peuples indigènes.

(Noticias Aliadas et Rel-Uita – fin 2014 – Trad. B. Fieux)

L’assassinat des défenseurs de la forêt met en évidence l’extension du réseau illégal d’abattage et de commercialisation du bois.

« Dans la forêt le silence est absolu la nuit » raconte Sara, une femme qui possède une parcelle en pleine forêt péruvienne. « Mais tout à coup, à neuf heures du soir, on commence à entendre au loin les tronçonneuses. Je me lève aussitôt et sans faire de bruit, je prends mon fusil de chasse et mes chiens et je vais voir où ils abattent mes arbres. Mais je ne trouve pas les bûcherons. Ils se cachent. Le matin, je trouve les arbres abattus et des planches coupées qu’ils n’ont pas pu sortir. »

Sara, 54 ans, est une « Limeña » (habitante de Lima) à qui, dans les années 80, on a adjugé une parcelle de 187 ha de terres près de la localité de Puerto Bermúdez, dans le département central de Pasco, pour développer le reboisement et protéger certaines espèces d’arbres.

En juillet dernier on l’a informée que, sans la consulter et sans sa présence, les autorités du Ministère de l’Agriculture avaient changé les limites de ses terres en utilisant de faux plans qui ne correspondent pas à la réalité physique.

Elle a les titres de propriétés et avec cela elle pourrait réclamer mais il y a plus de 500 communautés indigènes amazoniennes qui, depuis des décennies, exigent les titres de leurs terres, la seule manière pour eux de protéger leurs ressources forestières de l’abattage illégal. Mais le gouvernement péruvien n’est pas intéressé par la remise de titres de propriété. Selon Julia Urrunaga, Directrice du programme Pérou de l’Agence d’Investigation Environnementale (EIA), le siège est aux Etats Unis; pour les autorités péruviennes de Lima « la selva ( = forêt) est un espace énorme, plein d’arbres et où il n’y a pas de gens ».

Du lavoir à la machine à laver

Artifices pour justifier l’extraction illégale de bois.

En 2012, l’EIA publiait un rapport : « La machine à laver : comment la fraude et la corruption du système de concessions détruisent le futur des forêts du Pérou », dans lequel elle révèle la pagaille  bureaucratique qui légalise, à travers des documents que les autorités ne vérifient jamais, la commercialisation de bois extrait de zones non autorisées de l’Amazonie péruvienne.

Malgré la gravité des dénonciations, le gouvernement a fait très peu ou rien du tout pour freiner l’abattage illégal. « La seule chose qui a avancé en deux ans, c’est qu’à présent tous les documents sont dans les ordinateurs. Ou pour mieux dire, on est passé du lavage à la main au lave-linge automatique », dit Urrunaga.

L’assassinat de quatre indigènes asháninkas dans la communauté de Alto Tamaya Saweto, dans le département de Ucayali, frontalier avec le Brésil, a mis sur le tapis non seulement l’insécurité dans laquelle vivent les peuples natifs de l’Amazonie, mais aussi l’existence d’un négoce très rentable dans lequel sont impliqués des entreprises, des autorités et des bûcherons dans l’illégalité.

Edwin Chota, chef de la communauté, et les dirigeants Jorge Ríos, Leoncio Quinticima et Francisco Pinedo avaient dénoncé depuis des années ce qui se passait sur leurs terres… et ils l’ont payé de leur vie.

Le message est de se taire.

L’impunité et la connivence des autorités.

« Chota était un dirigeant connu et actif contre l’abattage illégal », explique Urrunaga. « Il a présenté plusieurs dénonciations à Pucallpa (capitale de Uyucali) et à Lima, mais elles ont toujours été archivées. Il y avait une documentation, des vidéos, la localisation sur GPS. Il syndiquait des personnes, notait les noms, avec des photos. »

Avec ces morts, le message des mafias de l’abattage illégal à ceux qui s’opposent à cette activité est : « laissez-moi opérer, même les autorités ne me dérangent pas ». Le message est « Tais-toi ». L’un des premiers qui dénonça ce qui se passait dans le Alto Tamaya-Saweto fut David Salisbury, géographe et professeur de l’Université de Richmond, en Virginie. Durant plus de dix ans, il conseilla Chota et sa communauté dans leur lutte pour obtenir les titres de leurs terres. Selon Salisbury, Chota avait écrit plus de cent lettres à des institutions péruviennes et brésiliennes, réclamant protection et attention à ses réclamations et il voulait porter ce cas à la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH).

Bûcherons esclaves.

L’abattage illégal n’est que la pointe de la lance.

Plus que le niveau local, c’est la répercussion internationale du cas qui obligea les autorités à agir. Des organisations indigènes, des groupes de militants de droits humains, des organismes internationaux, y compris la CIDH elle-même, et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits Humains, exigèrent du gouvernement la protection des communautés indigènes et l’arrestation, le jugement et la sanction des responsables.

Le gouvernement annonça avoir identifié les supposés assassins des indigènes. Il s’agirait de bûcherons en illégalité, mais pour Urrunaga, « capturer les bûcherons ne résout pas le problème. En général il s’agit de personnes qui travaillent dans des conditions de quasi-esclavage, qui abattent des arbres pour survivre ».

« Derrière il y a une organisation beaucoup plus complexe dont l’objectif est de satisfaire la demande de bois fin pour les marchés internationaux », ajouta-t-il. Toutefois, il précisa que « l’abattage illégal n’est pas l’activité qui rase les forêts, mais c’est la pointe de la lance qui ouvre la voie à d’autres activités illégales ».

Fabiola Munõz, directrice du Service National Foestier du Pérou (SERFOR), dépendant du Ministère de l’Agriculture, confirma que dans les zones où existe l’abattage illégal, il y a aussi des corridors du narcotrafic et des surfaces plantées de coca. Et la communauté de Alto Tamayo-Saweto dénonça que des narcotrafiquants utilisent le bois coupé illégalement pour camoufler la drogue.

L’exportation et l’abattage illégal.

Et la nomination d’un chargé de mission controversé.

La Banque Mondiale estime que de 80 à 90 pour cent du bois qui s’exporte du Pérou, principalement vers la Chine et d’autres marchés asiatiques, est illégal. Selon les chiffres du Gouvernement Régional de Loreto, le Pérou perd annuellement 86,5 millions de dollars pour abattage illégal.

Après s’être engagé à remettre les titres de propriété à la communauté de Alto Tamaya-Saweto, le ministre de l’Intérieur, Daniel Urresti, annonça le 15 septembre dernier la nomination d’un haut chargé de mission pour combattre l’abattage illégal dans tout le pays, et qui dépendra de la Présidence du Conseil des Ministres.

Comme titulaire de cette charge fut désigné un général retraité de la Police Nationale. Il s’agit de César Fourment Paredes qui, outre qu’il n’a aucune connaissance sur l’extraction et la commercialisation du bois, travaille étroitement avec de hauts chefs de police liés à Vladimir Montesinos, le Conseiller en affaires de sécurité de l’ex-président (1990-2000) Alberto Fujimori, actuellement sous les verrous…

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