CHILI – Le cuivre, histoire d’un pillage

(Extrait de la revue Punto Final n°863, novembre 2016 – Trad. B. Fieux)

A l’approche des élections, les candidats à La Moneda et au Parlement doivent préparer leurs programmes et leurs propositions. Mais un thème est quasi totalement absent de leurs explications, et c’est le plus important : le cuivre. On a beaucoup parlé de la Loi Réservée du Cuivre et des obligations qu’elle impose à Codelco*. Mais il n’y a quasiment plus d’analyses générales comme auparavant, bien que le cuivre soit la principale richesse du Chili.

Notre cuivre représente environ 36% du métal rouge du monde. Je n’ai vu aucun candidat aborder sérieusement le problème du cuivre. Il y a des spécialistes qui l’ont étudié, mais en général le peuple ne sait pas grand chose. Parce qu’on occulte  des réalités étant donné que cela implique beaucoup de millions de dollars ainsi que des responsabilités graves et multiples. Ce sont les intérêts étrangers les plus importants qui existent au Chili. Si un homme politique ne fait pas allusion au cuivre, il y a une raison.

Au Chili, le cuivre peut se diviser en deux catégories : celui qu’extrait Codelco, soit environ 30%, qui est celui de l’État et de nous tous, et celui des entreprises transnationales auxquelles on a fait cadeau des principales mines, et qui extraient les 70%.

Les Espagnols sont venus s’enrichir en Amérique ; l’exploitation coloniale s’est fixée sur trois métaux : l’or, l’argent et le cuivre. Au 20ème siècle, on a découvert l’utilité du cuivre pour les connexions électriques, téléphoniques et en électronique. La demande a augmenté et bien des ambitions se sont révélées.

La Nationalisation du cuivre.

La seconde guerre mondiale a transformé le Chili en important acteur pour l’industrie de guerre. Nos dirigeants ont pris conscience de l’importance du cuivre. Mais par accord entre les compagnies transnationales et les yanquis, le prix fut fixé à 24,5 centavos de dollar la livre, très inférieur au  prix du marché, sans consulter l’opinion des Chiliens.

Sous le gouvernement de Carlos Ibáñez fut promulguée la Loi du Nouveau Traité, sur les impôts et le contrôle fiscal de l’industrie minière. Sous la présidence de Eduardo Frei Montalva débuta le processus dénommé « Chilenisation du cuivre », qui associait l’Etat aux entreprises.

Finalement, le Président Salvador Allende nationalisa le cuivre. Ce fut à l’unanimité de toutes les forces politiques présentes au Congrès National.

Et comment y parvint-il ? En faisant un travail d’information pour que le peuple comprenne l’extrême importance du cuivre. Un travail de porte à porte, de personne à personne, de telle manière que le droite se vit obligée d’approuver la nationalisation.

Le 11 juillet 1971, le Président Allende s’adressa au pays en ces termes :

« Aujourd’hui c’est la Journée de la Dignité Nationale parce que le Chili rompt avec le passé. Il s’avance avec foi dans le futur et entreprend la voie définitive de son indépendance économique, qui signifiera sa totale indépendance politique. »

Cette décision du gouvernement d’Unité Populaire fut d’une telle importance que la dictature la conserva, et dans la Constitution de 1980, article 19, numéro 24, incise 6, on a conservé la phrase : « L’État a la domination absolue, exclusive, inaliénable et imprescriptible sur toutes les mines… »

Cependant, dans l’incise 7, on lit : « Il revient à la loi de déterminer quelles parties de celles auxquelles se réfère l’incise précédente (…) peuvent faire l’objet de concessions.… »

Cette incise 7 contredit les principes généraux sur la congruité que doivent avoir les normes de droit, principes établis par don Andrès Bello et par tous les juristes spécialisés, comme Kelsen et d’autres. Ces principes signalent que les normes juridiques doivent être cohérentes, logiques et systématiques.

Or il est indubitable qu’il y a manque de concordance entre les incises 6 et 7 du numéro 24 de l’article 19 constitutionnel, étant donné que le second contredit le premier. Ceci aurait été un motif suffisant pour solliciter du Tribunal Constitutionnel qu’il refuse l’incise 7. Cette dernière incise fut complétée par la loi N° 18.097, loi Organique Constitutionnelle sur Concessions Minières, du 7 janvier 1982.

Qui a élaboré cette loi ?José Piñera et Hernán Büchi, ces « patriotes » bien connus des Chiliens. Mais ces normes ne furent pas appliquées par la dictature. Probablement les militaires avaient-ils des doutes et pensaient-ils que pour des raisons stratégiques,  il leur fallait garder le contrôle du cuivre.

La Concertación dénationalise le cuivre.

Et comment les principales mines tombèrent-elles dans des mains étrangères ? Parce que ces dispositions furent appliquées par le premier président de la Concertación, Patricio Aylwin.Très rapidement l’entrée de capitaux privés fut autorisée, jusqu’à la situation d’aujourd’hui.

Entre 1991 et 1995 d’importants gisements s’ouvrirent, comme La Escondida, El Abra, Zaldívar, Cerro Colorado, Quebrada Blanca, Mantos Blancos, Candelaria, Collahuasi, Pelambres, Los Andes, Santa Rosa, Andacollo, et d’autres encore.

Quels bénéfices ces mines, exploitées par des entreprises étrangères, ont-elles apportés au Chili ? Aucun, que des tracas et infractions légales dans leur empressement  à gagner de l’argent  au détriment de l’intérêt national.

En premier lieu il faut savoir que la chaine d’élaboration du cuivre  consiste, après l’extraction, à produire des concentrés humides (pierre moulue mélangée à de l’eau) dans lesquels, outre le cuivre, on trouve de l’or, de l’argent, du molybdène et d’autres éléments qui peuvent valoir plus que le cuivre.

Ensuite vient le raffinage (cuivre pur et fondu en lingots ou cathodes). Le concentré est le produit pour l’élaboration postérieure de cuivre métallique, il requiert moins de main d’œuvre et donne moins de valeur ajoutée.

Voici quelques-unes des « prouesses » de ces entreprises transnationales :

  1. Elles produisent presque exclusivement du cuivre concentré, ce qui n’est pas satisfaisant pour le Chili.
  2. Elles paient très peu d’impôts. Codelco, de 1971 à 1999, versait au fisc 925 dollars par tonne extraite. Par contre, dans la même période, le secteur minier privé versait au trésor seulement 65 dollars par tonne.

Comment cela s’explique-t-il ? Très simplement : elles déclarent de constantes pertes financières. Ni le Service des Impôts Intérieurs ni personne n’a trouvé cela étrange. Si vous ouvrez un restaurant à Antofagasta et que vous perdez de l’argent tous les ans, vous le fermez ou vous faites faillite, non ?  Eh bien pas les mines. Elles vendent le cuivre concentré tout prêt à leurs propres filiales. Puis la filiale le raffine, le vend très cher mais ne paie pas non plus d’impôts, vu qu’elle est installée dans un paradis fiscal.

Par exemple, Disputada de la Condes a, durant 25 ans, déclaré des pertes et rien n’a semblé bizarre. Elle ne payait pas un peso d’impôts. La fameuse royalty atteint 5%, et augmente à 8% pour la reconstruction. Mais tandis que dans d’autres pays, les  royalties s’appliquent comme un impôt sur les ventes, au Chili elles s’appliquent sur les bénéfices, et rapportent donc moins à l’Etat.

Une étude de l’ONU a révélé qu’il existe d’énormes fausses factures dans les exportations de cuivre vers plusieurs pays africains et au Chili. Ici, ces surfacturations ont atteint 16 mille millions de dollars entre 1990 et 2014. Comment est-ce possible? Parce que le gouvernement du Chili s’est laissé spolier et a permis que l’on nous vole tous, puisqu’il n’a pas fiscalisé les exportations minières. Il n’est pas besoin d’être devin pour comprendre ce qui s’est passé.

Des gains fabuleux.

Combien ont gagné ces entreprises transnationales depuis qu’on a dénationalisé le cuivre, c’est-à-dire depuis 1990 ? Plus de deux cent mille millions de dollars ! La mine Escondida, à elle seule, gagne sept mille millions de dollars par an. Ce sont des chiffres si importants que le commun des mortels a de la peine à les imaginer. Mais avec cet argent 40 millions de Chiliens pourraient vivre très bien et gratis. Nous rendons-nous compte de la richesse du Chili, et du fait que  l’éducation gratuite, les pensions, la santé et absolument tout pourrait être résolu si nous étions propriétaires de notre cuivre ? C’est pourquoi, au lieu de nous préoccuper de petites choses, pensons plutôt en grand.

Maintenant le prix du cuivre a baissé. Mais qu’importe ? De toute façon  les transnationales gagnent des sommes énormes. En outre, les variations de prix sont temporaires : elles dépendent des fluctuations de l’économie chinoise et s’amélioreront quand la situation se réactivera.

La loi 18.097, outre qu’elle autorise la concession des mines, donne au concessionnaire des droits inusités au cas où le gisement serait exproprié. Parce que non seulement il faudrait lui payer la valeur des biens existants mais aussi la valeur de tous les minerais qu’il pourrait y avoir dans la mine jusqu’à la fin de l’exploitation.

Ainsi le dispose l’article 10 de cette loi. Ceci impliquerait d’indemniser tout ce que le concessionnaire pourrait parvenir à exploiter dans le futur jusqu’à la fin des réserves. Cette norme empêche toute expropriation. Parce que non seulement on a concédé le droit d’exploiter un gisement minier, mais on a donné au concessionnaire la propriété de ce qui peut se trouver dans le sous-sol, de maintenant jusqu’à l’éternité.

On a donné ce qui appartient au Pays, à l’État, à tous les Chiliens. Ceci pourrait être annulé sans trop de difficulté parce que c’est une absurdité contraire à l’article 19, numéro 24, incise 6 de la Constitution et contraire aux nombreux textes internationaux, comme le Pacte International des Droits Économiques, Sociaux et Culturels, qui dit : « Article 1. incise 2; (…) tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles ».

A qui a-t-on demandé si on pouvait remettre nos mines de cuivre aux entreprises étrangères ? A vous? Pas à moi, non. Est-ce que le Président de la République – en ce temps-là c’était Patricio Aylwin – était propriétaire du sous-sol du pays ?

Des mesures possibles.

Compte tenu de tout cela, voyons ce qu’on pourrait faire avec les entreprises étrangères.

  1. Leur prélever davantage d’impôts. En Australie et aux États-Unis les taux sont beaucoup plus élevés.
  2. Faire payer les arriérés d’impôts. Le Service des Impôts Internes doit les détecter et les faire payer avec les intérêts moratoires correspondants. Et en outre, poursuivre la responsabilité administrative et pénale des ex-directeurs des Impôts Internes et des autres fonctionnaires impliqués.
  3. Exiger d’eux qu’ils construisent leurs raffineries au Chili.
  4. Qu’ils paient pour les minerais qu’ils ont emportés en plus du cuivre.
  5. Qu’ils versent de l’argent aux Forces Armées, au lieu de Codelco.
  6. Il est difficile de les exproprier pour ce que dit la loi 18.097. Il faut faire une dérogation après qu’une Assemblée Constituante ait élaboré une nouvelle Constitution Politique. Mais il existe une autre solution semblable ou meilleure : annuler les concessions. Cela, ni Piñera ni Büchi ne l’ont prévu. N’importe qui peut demander la nullité, puisque les mines sont à tous les Chiliens.Dans tout dossier de concession délivré par un juge, il doit y avoir des défauts sur lesquels se baser pour demander la nullité.
  7. Quand le peuple sera bien sensibilisé à l’importance du cuivre, on pourra renationaliser les mines. Nous avons suffisamment de raisons pour le faire. Dans aucun autre pays du monde il n’y a ces facilités et ces droits pour un concessionnaire. Le pays qui achète le plus de cuivre est la Chine. Nous lui vendrons du cuivre de meilleure qualité et à meilleur prix que les transnationales.

Quant à Codelco je peux affirmer que Codelco ne va pas être privatisé comme certains le prétendent: si le peuple est informé, il l’empêchera.

 

*Codelco : Corporation Nationale du Cuivre.

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