MEXIQUE – Les communautés Zapotèques des vallées centrales de Oaxaca s’organisent pour défendre leur eau.

(Diego Saydel García, dans Alterinfos du 27/2/2017 – Trad. B.Fieux)

Angel Ruiz Méndez est un paysan zapotèque des vallées centrales de Oaxaca. Il a hérité la terre où, pendant des générations, on a planté ou semé la tomate, l’oignon, le persil, la coriandre, les radis qui remplissent les étals des marchés locaux, en particulier le marché de Ocotlán les vendredis de chaque semaine.

Angel rappelle qu’en 1980 il a plus abondamment, tous les puits avaient de l’eau, et dans les canaux elle courait en quantité suffisante. La pluie de cette année-là avait assuré l’irrigation des cultures de légumes. Entre soupir et désir ardent, Angel mentionne : « en ce temps-là ». Car ce fut la dernière fois qu’il plut de cette manière.

Angel avait alors dix ans, il apprenait à soigner la terre. Aujourd’hui, il a 47 ans, et tout a changé. Il explique : « Là où je me tiens en ce moment, passait un canal d’irrigation, je me souviens nettement qu’il y avait des grenouilles, des poissons, mon père disait qu’on y trouvait même des crevettes. »

Après 1980, les pluies commencèrent à se raréfier. En 1985 la sécheresse fut très forte. En 1990 les puits étaient à sec, les paysans creusaient jusqu’à 25 mètres pour avoir de l’eau et pouvoir arroser les légumes. Cette époque fut très difficile. Voyant cette problématique, Angel décida d’émigrer aux Etats-Unis en espérant un meilleur futur.

« Le travail là-bas est difficile, les patrons commandent beaucoup et tu travailles beaucoup aussi. C’est pourquoi je reviens, je n’aimais pas qu’on me traite mal. »

« Quand tu es revenu, que s’est-il passé?

« Quand je suis arrivé à mon village, à Santiago Apóstol, la terre était très malade. Il n’y avait plus d’eau. Les manières de travailler étaient différentes, en fait cela me préoccupe beaucoup. Je crois que la faute en est à ce fameux néo-libéralisme qui a facilité l’arrosage avec des moteurs, le labourage avec des tracteurs, mais il nous a pris la conscience et la relation des soins avec l’eau. Moi j’arrosais avec une cruche, c’est comme cela que nous arrosions nos légumes.

En 2005, nous avons vécu la plus forte sécheresse des vallées centrales de Oaxaca. Cette même année la Commission Nationale de l’Eau ( CONAGUA) envoya des « cartes d’invitation » aux agriculteurs des districts de Ocotlán et Zimatlán, pour qu’ils paient l’excédent de consommation de l’eau qu’ils avaient utilisée. Ce fut un moment d’incertitude et d’étonnement pour les communautés zapotèques.

Combien devaient-ils payer pour l’eau qu’ils utilisaient pour leurs légumes?

Dans certains cas on demandait aux paysans 24 mille pesos pour utiliser l’eau dans le campement. Cela variait, 2 mille, 6 mille, 14 mille …

Et ensuite qu’avez-vous fait ?

Nous avons appris que notre eau avait un propriétaire et nous ne le savions pas. Cette situation fit que nous nous sommes organisés pour affronter le problème et trouver une solution. Nous avons lutté pendant 11 ans. Nous avons appris beaucoup de choses, nous sommes tombés et nous nous sommes relevés. Nous avons su que dans nos communautés il existe un décret de « veda » (interdiction) imposé par le Président de la République autour de 1967. Ce décret nous empêche, – à nous les paysans -, d’avoir libre accès à l’eau pour nos parcelles.

Nous sommes 16 pueblos intégrés dans la Coordination des Peuples Unis pour l’Entretien et la Défense de l’Eau. Nous cherchons à supprimer le décret de « veda » dans les 16 communautés que nous nommons « micro region Xnizaa » (Notre eau). Pour qu’à l’avenir ce soit nous, les paysans, qui administrerons et prendrons soin de l’eau. Le gouvernement n’est pas intéressé par les paysans, il ne l’a jamais été.

Nous sommes les oubliés mais nous leur rappelons par notre lutte que nous sommes des personnes et que notre travail est important. C’est nous qui fournissons les légumes à la ville.

Don Angel, dites m’en un peu plus, pour quoi luttez-vous ?

Parce que je veux que mes fils ne souffrent pas. Parce que je me suis rendu compte que le gouvernement nous a retiré nos droits et qu’il faut les récupérer. Parce que CONAGUA nous dit qu’à partir des puits irréguliers il y a déperdition de l’eau et que si nous continuions à prendre de l’eau nous provoquerions des préjudices à l’économie du pays. Mais nous savons que ce n’est pas nous, nous savons que le gouvernement veut nous faire disparaitre, parce que si réellement l’eau ou la vie paysanne lui importait, il aurait fait des programmes pour restaurer les couches aquifères, et il ne le fait pas. C’est nous qui l’avons fait.

Qu’avez-vous fait pour restaurer l’eau ?

Nous avons construit des retenues, des réserves, des marmites et des puits d’absorption et récupéré le niveau de l’eau au cours des dix dernières années. Nous avons entrepris des causeries dans les communautés pour conscientiser les gens sur l’usage de l’eau et la nécessité d’en prendre soin.

Et le gouvernement, qu’a-t-il fait ?

Le gouvernement n’a rien fait pour nous aider, il veut seulement nous faire payer. Pour nous la position du gouvernement est claire : il est du côté des entreprises. Il a accordé des concessions à des entreprises minières pour l’exploitation, il y a des mines en phase d’exploitation dans notre région, celle de San José El Progreso, et eux, peut-être qu’ils ne dépensent pas d’eau ? Il y a des machines à embouteiller des rafraichissements, ce sont eux qui consomment de l’eau. C’est pourquoi nous nous battons, pour qu’on respecte la vie paysanne et que nous soyons chargés d’administrer l’eau.

La COPUDA ( Coordination des Peuples Unis pour le Soin et la Défense de l’Eau) est actuellement en processus de consultation indigène. Le 8 février dernier, elle a remis à CONAGUA sa proposition pour l’usage et l’entretien de l’eau.

Onze années de lutte de la Coordination Don Angel.

Oui, compañeros et compañera, nous sommes fatigués, mais nous savons qu’il faut tenir, c’est ainsi, la vie à la campagne est une lutte constante, d’un côté le gouvernement, de l’autre la sécheresse, d’un autre encore les prix dérisoires de nos produits que parfois il nous faut céder pour presque rien . »

Angel Ruiz est actuellement président de la Coordination des Peuples Unis pour l’Entretien et la Défense de l’Eau de 16 communautés zapotèques des vallées centrales de Oaxaca.

 

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