MEDICUBA, 25 années d’une solidarité différente…

« Pour une vision de la coopération horizontale,
respectueuse, sans euro-centrisme … »

(Sergio Ferrari, Rebelión, 10/11/2017 – Trad. B. Fieux)

Un quart de siècle après sa fondation, MédiCuba Suisse vient de célébrer ses cinq lustres d’existence. Adulte juvénile ou jeunesse mature de cette ONG spécialisée dans un secteur, la santé, et sur un pays, Cuba ? Fondamentalement, il s’agit d’une conviction obstinée dans l’importance de la solidarité sur une planète globalisée où 1% des habitants concentrent la majeure partie de la richesse, comme le souligne dans cette entrevue le Docteur Martin Herrmann, spécialiste en chirurgie générale et co-président depuis 2010 de cette association.

« Il me semble vital d’aider à promouvoir une vision égalitaire et horizontale des relations entre nations et peuples. Par l’échange des savoirs et des expériences dans toutes les directions, et en brisant tout type de paternalisme euro-centriste », souligne Herrmann, durant de nombreuses années chef du service de chirurgie de l’hôpital de Moutier et actuellement consultant en institutions sanitaires de Château-d’Oex et Le Sentier dans le canton de Vaud (Jura).

S. Ferrari : Un de vos principaux succès au cours de ces cinq lustres ?

M. Herrmann : Peut-être, d’avoir fourni au Centre d’Immunologie Moléculaire (CIM) de La Havane ses premiers équipements que nous avons financés partiellement. Mais l’essentiel fut le travail politique pour convaincre le Gouvernement suisse de permettre les exportations de l’équipement principal, au milieu du blocus, des pressions états-uniennes et de l’Union Européenne. Ceci a permis au CIM de se distinguer tant dans la recherche que plus tard dans la production de médicaments qu’aujourdhui les Etats-Unis eux-mêmes veulent obtenir. Par exemple, le vaccin contre le cancer du poumon. Ce qui démontre la décision de ce petit pays caribéen qui depuis toujours a considéré la santé et la recherche comme des priorités essentielles.

S.F: Ont-ils réussi à transmettre l’information sur ce type de projets aux citoyens helvétiques ?

M.H. :Je voudrais le mentionner comme un second succès important. C’est d’avoir assuré une information systématique sur Cuba, spécialement sur le terrain de la santé et d’avoir pu contrecarrer partiellement la désinformation régnante des grands médias internationaux. Cette information de première main, totalement fiable et aux sources directes, fut ce qui permit à la fois de gagner la confiance de la coopération officielle suisse et d’obtenir des fonds pour notre programme de soutien au système de santé cubain.

S.F. : Quelle est votre lecture de l’actuelle réalité cubaine et des défis de la solidarité ?

M.H. : Même si évidemment Cuba souffre comme tout pays des conséquences de la globalisation du capitalisme, jusqu’à ce jour elle a réussi à promouvoir des politiques émancipatrices et solidaires. Certaines sont largement connues, en particulier sur le terrain de la santé, de l’éducation et sur la sensibilité cubaine vis-à-vis des désastres et des crises qu’affrontent d’autres nations. Que ce soit durant le tremblement de terre de Haïti, en 2010, ou dans l’incontrôlable épidémie de Ebola en Afrique ou plus récemment après le séisme qui secoua Mexixo en septembre dernier. Même si Cuba elle-même avait été fortement ébranlée par l’ouragan Irma qui dévasta certaines de ses provinces. C’est presque en parallèle qu’elle fit front aux conséquences internes de l’ouragan et qu’elle envoya des spécialistes solidaires à Mexico. Les défis actuels de Cuba continuent d’être énormes. En premier lieu, économiques, dus essentiellement au blocus et à ses corollaires, si clairement énoncés dans la déclaration 71/5 de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Défis environnementaux, dus au réchauffement global et aux changements climatiques.

Et également sur le terrain politico-idéologique. Comment cette petite nation caribéenne parviendra-t-elle à faire face à la logique économique, hégémonique dominante si implantée dans nos pays européens et du Nord ? Comment le pays réussira-t-il à maintenir la conscience politique et solidaire, en particulier de sa jeunesse, avant la disparition générationnelle des révolutionnaires historiques ? Ce sont des questions…Mais attention, ce n’est pas à nous, depuis l’Europe, de décider sur le présent-futur du peuple cubain. Ceux qui l’ont fait ou tenté de le faire, sont les gouvernements arrogants de l’auto-dénommé « premier monde ». Quant à nous, notre rôle est d’accompagner activement, à l’aide de discussions et débats, – et dans le cadre d’un profond respect -, le développement propre de la société cubaine.

S.F. : Dans ce monde globalisé auquel vous vous référez, n’est-ce pas un peu étroit de se consacrer à appuyer un seul pays et un seul secteur spécifique, comme celui de la santé ?

M.H. : Si un pays au monde ne se contente pas de recevoir, c’est bien Cuba. Pour nous, appuyer Cuba c’est soutenir une vision globale de la solidarité. Dans le seul domaine de la santé qui est celui que je connais le mieux, Cuba soutient d’une manière ou d’une autre plus de 60 pays. Et elle offre des études de médecine de haute qualité à des dizaines de milliers d’étudiants originaires de nations qui ne peuvent ou ne veulent pas offrir ce genre d’études aux secteurs les plus humbles de leur population. Ce n’est pas par hasard si dans les organismes internationaux les compétences cubaines sont grandement reconnues et leur attitude considérée comme exemplaire. Malheureusement, cette attitude solidaire est peu mentionnée dans les grands médias internationaux, surtout pour des raisons politiques. Je ne crois pas, pour le souligner, que notre coopération se limite à Cuba, parce qu’elle se multiplie. Et leur secteur médico-sanitaire est le meilleur que nous connaissions comme organisation.

S.F. : Comment voyez-vous le travail de MédiCuba pour les 5 ou 10 prochaines années ?

M.H. : Le système mondial actuel dominant détruit plus qu’il ne construit. Nous le voyons dans les conséquences sociales et climatiques pour l’humanité et la terre. La consommation des ressources dépasse énormément ce que la terre peut nous offrir. Avec la circonstance aggravante que ceux qui jouissent le plus des richesses au niveau planétaire constituent à peine 1% de la population. Nous voyons un déséquilibre et une polarisation sociale énormes et croissants. Pour surmonter ce diagnostic préoccupant, nous devons nous unir au-delà des frontières nationales pour changer la relation de forces. Et réussir à ce que les institutions publiques de nos pays soient de plus en plus actives dans la solidarité internationale. Et cela, c’est ce que j’espère pour Cuba. Que les échanges, les aides, se fassent de plus en plus entre institutions, entités, municipios, provinces- cantons, ministères publics, écoles et universités. Et que nous puissions avancer dans un nouveau rôle de générateur d’initiatives, d’accompagnants et d’animateurs de la coopération. Je suis convaincu que seule la solidarité internationale peut assurer la survie de l’espèce humaine.

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