GUATEMALA – L’expansion des monocultures expulse les paysans de leurs terres.

(Louisa Reynolds, dans Noticias Aliadas -29/08/2018 – Trad.B.Fieux)

La répression s’intensifie contre les leaders paysans et les indigènes qui s’opposent à l’accaparement des terres, aux expulsions, et à la contamination des sources d’eau.

Juana Raymundo, 25 ans, était infirmière et leader de sa communauté dans le municipio de Nebaj, département du Quiché. Dans une fotographie publiée par Prensa Comunitaria, elle apparait vêtue d’une toilette traditionnelle Maya Ixil – une blouse blanche brodée appelée Huipil, une jupe longue rouge et un chandail noir, et elle sourit avec sérénité en regardant la caméra.

Cinq ans plus tôt, avec une confiance en elle-même et une conscience politique qui ne révélaient pas son âge, Juana avait adhéré au Comité de Développement Paysan (CODECA) et avait été élue membre du comité exécutif du Mouvement pour la Libération des Peuples (MLP), le bras politique du CODECA qui cherche à s’enregistrer comme parti et va postuler aux élections de 2019.

Le 27 juillet dernier, elle sortit de la maison de ses parents et se dirigea vers le centre de santé situé dans la localité de Cotzol, où elle travaillait comme infirmière. De là elle voulait se rendre à Nebaj pour remettre quelques documents, dit son père, Pedro Raymundo, qui fait lui aussi partie du CODECA.

Mais la jeune infirmière ne revint jamais à la maison. Le lendemain son corps fut retrouvé par des habitants au bord d’un ruisseau qui court entre Nebaj et la localité d’Acambalam. Son corps montrait des traces de tortures.

Pour les militants de Nebaj, l’assassinat de Juana rappelle les séquestrations systématiques et les tortures des paysans durant les 36 années de conflit armé au Guatemala, dans le département du Quiché, à prédominance indigène, et où les plus sanglants massacres eurent lieu, incluant des actes de génocide contre le peuple Maya ixil, selon les informations des Nations Unies.

Juana est la victime la plus récente d’une vague de violence et de répression, qui a coûté la vie à 18 leaders indigènes et paysans, dont 13 étaient impliqués dans des conflits pour la terre et 9 faisaient partie de CODECA. Environ 600 leaders paysans sont emprisonnés ou font l’objet d’ordres de détention pour des délits qui vont du vol d’électricité à l’invasion d’une propriété privée.

Histoire de vols.

L’histoire des conflits agraires non résolus au Guatemala, qui date de l’époque coloniale, est la cause principale du mécontentement de la paysannerie qui est restée condamnée au silence par une vague de répression, selon ce que soutiennent des experts en thèmes agraires.

« Le modèle exportateur s’est instauré sur la base du modèle semi-féodal durant la colonie et s’est ensuite poursuivi après l’indépendance. Les investissements en café générèrent l’occupation de terres pour l’exploitation, et le premier produit d’exportation fut le café. Puis ce fut la banane sur le côte sud et au milieu du siècle suivirent le cacao et le caoutchouc. Maintenant c’est la canne à sucre et la palme africaine », explique à Noticias Aliadas Marcel Arévalo, coordinateur du programme d’études sur la pauvreté et la migration de la Faculté Latinoaméricaine des Sciences Sociales (FLACSO).

Au cours des 15 dernières années, la demande croissante de biocombustibles a amené la rapide expansion des monocultures en Amérique Centrale – principalement la palme africaine et la canne à sucre -, intensifiant la concentration de la terre aux mains des grandes corporations et expulsant les paysans de leurs terres, surtout dans les départements du Petén et de l’Alta Verapaz, au nord et centre-nord du pays.

Helmer Velàsques, directeur de la Coordination d’ONG et de Coopératives du Guatemala (CONGOOP), précise que des organisations multilatérales comme la Banque Mondiale ont promu activement la concentration de la terre aux mains d’entreprises agroindustrielles avec l’argument que cela apporterait le développement et générerait des emplois en zones rurales, alors qu’en réalité cela a aggravé la pauvreté rurale.

Un cas significatif est l’achat de terres convoitées dans la vallée Polochic par l’entreprise sucrière et de palme africaine Chabil Utzaj, propriété de la famille Widmann – une des plus puissantes du Guatemala – à travers un crédit octroyé par la « Banco Centroamericano de Integración Económica » (BCIE). En 2011, trois paysans furent assassinés durant une violente expulsion de familles maya q’eqchi dans cette zone.

Invasion d’agroindustries.

Des chiffres publiés par l’Institut National de Statistiques (INE) illustrent jusqu’à quel point les agroindustries ont accaparé les terres des paysans et déplacé les cultures de subsistance durant la décennie écoulée. La superficie totale occupée par des plantations de palme africaine a augmenté de 33% entre 2013 et 2014 et , -plus impactant encore-, de 80% de 2003 à 2014, et l’extension des cultures de canne à sucre a pratiquement doublé en une décennie ( de 188 000 ha en 2003 à 378 000 ha en 2014), tandis que la plantation de frijoles, aliment de base de la population rurale pauvre,a diminué de 70% entre 2013 et 2014.

« Certaines familles ont vendu parce qu’elle le voulaient et se sont réjouies parce que les prix de la terre étaient réellement élevés. D’autres familles assurent qu’elles ont subi des pressions violentes pour la vente et qu’elles eurent la visite de personnages étrangers à la zone qui leur ont dit : « ou bien tu négocies avec moi ou bien la prochaine négociation je la fais avec ta veuve », une claire menace de mort. D’autres sont restés au milieu de plantations avec des problèmes de parcelles, ce qui les a obligés à vendre », dit Velasquez à Noticias Aliadas.

Une étude réalisée par le Conseil National des Déplacés du Guatemala (CONDEG) sur le déplacement paysan comme résultat de l’expansion des monocultures de palme africaine dans le municipio de Sayaxché, dans le Petén, illustre le cas précédent.

Dans la localité de Semuy, par exemple, tandis que des entreprises de palmiers à huile telles que Reforestadora de Palma de Petén SA (REPSA) acqueraient de plus en plus de terres, les familles paysannes qui restaient découvraient que les chemins et même les petites lagunes qu’elle utilisaient pour se baigner avaient été achetées par l’entreprise, privant ces familles des sources d’eau tellement nécessaires et les obligeant à payer un péage chaque fois qu’elles devaient quitter la communauté pour aller vendre leurs produits sur les marchés locaux. Certaines fois l’entreprise leur interdisait de traverser sa propriété ou bien leur faisait payer un tarif trop élevé qu’il était impossible à une famille pauvre de payer.

Dans bien des cas, les entreprises de palmiers à huile et de canne à sucre contaminèrent les sources, privant des centaines de familles de l’accès à cette ressource indispensable. L’un des cas les plus notoires de contamination liée à l’activité agro-industrielle fut le désastre écologique du rio La Pasion, dans la région des basses terres au nord du Petén. En juin 2015, des pêcheurs du village de Sayaxché furent horrifiés en découvrant des centaines de poissons morts flottant dans le rio malodorant.

Trois ans plus tard aucune action légale n’a encore été prise contre REPSA, l’entreprise que les organisations écologiques locales responsabilisent pour ce désastre.

Ce contenu a été publié dans Les brèves, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.