Nicaragua

NICARAGUA.
“ Victoire pour Ortega, défaite pour les femmes. ”

(Extrait de l’article paru dans le bulletin 4/2006 de l’ONG allemande “ Christliche Initiative Romero ”. Traduction B. Fieux)

Avec 38 % des votes, Daniel Ortega, candidat du FSLN, a été élu dès le premier tour président de la République. Il a bénéficié de la division de la droite (PLC : 26 %, et ALN-PC 29 %) que tous les efforts des Etats-Unis n’ont pas réussi à regrouper. Les sandinistes critiques du Mouvement de Rénovation Sandiniste ont totalisé 8 %. Prônant l’unité et la réconciliation, Ortega avait fait alliance avec les ex-somozistes, avec les ex-contras, et mis de son côté la hiérarchie catholique, qui ne manquait pas de le diaboliser dans les scrutins précédents. …

(…) En fait la marge de manœuvre d’Ortega est mince car il ne dispose pas de la majorité au Parlement et doit s’accommoder de la grande dépendance économique vis-à-vis des USA et des institutions financières internationales. Toutefois, il est fort possible que, soutenu par l’argent et le pétrole du Président venezuelien Chavez, il puisse entreprendre une politique de lutte contre la pauvreté, qui afflige depuis des années la majorité de la population nicaraguayenne. Ortega devra aussi prendre en considération d’importants groupes d’intérêts nationaux : d’une part le puissant groupe des entrepreneurs sandinistes (cadres du FSLN, qui se sont enrichis sans vergogne en 1990, à la fin du dernier mandat de D. Ortega) et d’autre part la hiérarchie catholique.

Dans la victoire électorale du FSLN, le rapprochement avec le prince de l’Eglise, le cardinal archevêque Miguel Obando y Bravo, a compté pour beaucoup. Durant les campagnes électorales précédentes, le cardinal avait toujours pris position ouvertement contre Ortega. Toutefois le revirement d’ Ortega et du FSLN dans le giron de l’Eglise catholique a dû être payé politiquement dès avant le vote.

Dix jours avant l’élection, le Parlement nicaraguayen a décidé l’interdiction absolue de tout avortement, et le parti sandiniste sous la direction de Daniel Ortega vota dans ce sens. Cette loi supprime la possibilité d’avortement pour “ raisons thérapeutiques ” qui, depuis plus d’un siècle, était autorisé par la loi quand la vie de la mère était en danger ou dans les cas de viols. A l’avenir tout avortement sera puni d’une peine de 4 à 8 ans de prison.

L’avortement était devenu le thème central de la campagne électorale. Quatre des cinq candidats se prononcèrent pour son interdiction, seul le candidat du MRS prit position contre cette décision. Les organisations de femmes, les associations de médecins et les organisations étrangères de droits humains critiquèrent la décision du Parlement. Les organisations de droits des femmes estiment qu’il y a déjà chaque année au Nicaragua trente mille avortements illégaux, effectués dans des conditions souvent dangereuses.

Profitant d’une réforme générale du droit pénal qui était en débat depuis des mois, la conférence épiscopale vit le moment venu pour faire une avancée. Elle présenta une requête au Président de l’Assemblée Nationale, René Nuñez. Celui-ci conseilla aux évêques de présenter leur demande non dans le cadre de cette grande réforme pénale mais comme réforme d’une antique loi répressive, ce qui permettrait la décision par une procédure accélérée.

La première pierre de ce pacte entre l’Eglise catholique et le FSLN avait été posée dès le 19 juillet 2004 : Le cardinal archevêque Obando avait célébré une messe à l’occasion du 25e anniversaire de la Révolution sandiniste. La fraternisation officielle avec son ancien adversaire, l’ex-chef révolutionnaire Daniel Ortega, devait profiter à tous deux. Des scandales de corruption, dans lesquels l’Eglise catholique et son cardinal étaient impliqués, furent passés à la trappe par l’appareil de justice dominé par les sandinistes, et des familiers du cardinal accédèrent à de hautes fonctions judiciaires.

Un an plus tard, Daniel Ortega et sa femme Rosario Murillo, avec laquelle il a plusieurs enfants et vivait depuis longtemps en union civile, firent bénir leur union par le cardinal. Le calcul : l’ultra-conservateur cardinal de plus de 80 ans cesserait, dans ses prochains sermons, de mettre ses fidèles en garde contre Ortega. Au sein du FSLN, parti à l’organisation stricte, la “ conversion ” fut acceptée sans murmure. Le co-fondateur du FSLN Tomas Borge, déclara même que l’une des grandes erreurs de la Révolution avait été de soutenir la théologie de la Libération et non la hiérarchie catholique.

Ce n’est pas par hasard si Obando y Bravo a présenté une nouvelle addition en pleine campagne électorale. La criminalisation de toute forme d’avortement est une vieille requête de l’Eglise. Avec le slogan simpliste “ Oui à la vie, non au meurtre ”, Rosario Murillo, épouse et directrice de campagne de Daniel Ortega, a pris la tête des marches massives et médiatisées contre l’avortement thérapeutique. “ C’est dans la foi que nous trouvons la paix ” a-t-elle déclaré sur l’émetteur de Radio-Ya. “ C’est pourquoi nous pensons, en accord avec l’Eglise, que l’avortement nuit profondément aux femmes. En outre c’est une atteinte à la foi et à la vie ”.

Pour les quelques esprits critiques du FSLN qui s’inquiétaient, on murmura derrière la main : “ Pas de souci : quand nous serons au pouvoir, nous ferons marche arrière avec cette stupidité ”. Mais les mouvements de femmes ne se font pas d’illusions. Les élections gagnées, Ortega ne pourra guère trahir ouvertement celui à qui il doit sa majorité.…

( Les associations de droits des femmes ont sans plus tardé repris la lutte pour “ sortir de l’âge de pierre ” et imaginer la résistance “ contre l’influence croissante de l’Eglise catholique ultra-conservatrice dans tous les domaines de la vie publique et privée ”. L’ONG allemande “ Christliche Initiative Romero ” soutient leurs initiatives.)

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