EL SALVADOR: Mauricio Funes, Président de El Salvador : « Je demande pardon au nom de l’Etat salvadorien… »

Dans son discours historique du 16 janvier, 18ème anniversaire de la signature des Accords de Paix qui  mirent fin au conflit militaire salvadorien, le Président a demandé pardon aux victimes de cette guerre cruelle.

(Source : Envío, janvier-février 2010), p.41.C’est un honneur pour moi de présider cette célébration et de me sentir accompagné par les plus hautes autorités de notre pays, par des représentants du corps diplomatique et des organismes internationaux, par les légitimes représentants du peuple, maires, député(e)s, par les directions d’entreprises et d’organisations syndicales et sociales.
A tous, sincèrement, j’adresse mes remerciements pour leur présence ici aujourd’hui.  Je remercie aussi les milliers de Salvadoriens et Salvadoriennes qui depuis leur foyer nous accompagnent par l’intermédiaire des médias. Je remercie tout spécialement tous ceux qui ont souffert directement ou indirectement des conséquences du conflit armé qui a pris fin précisément avec les accords de paix dont nous évoquons le souvenir en ce jour et dont les signataires m’accompagnent aujourd’hui.

Quand la majorité du peuple salvadorien a voté pour que j’accède à la Présidence de la République, elle ne m’a pas seulement accordé son soutien. Elle m’a aussi donné le mandat d’avancer sur le sentier du changement.  Elle ne nous a pas demandé de marcher sur la voie de  l’affrontement, de la lutte, des transformations violentes, et moins encore d’aggraver l’antagonisme entre frères et sœurs.

Le peuple salvadorien n’a pas demandé non plus de suivre le sentier de l’inégalité, de l’injustice, du retard et de la pauvreté. Le peuple salvadorien a voulu regarder en face sa réalité, son passé et son présent, mais surtout son futur, pour entreprendre un chemin d’unité et de progrès pour tous, pour parvenir à une réconciliation qui ne s’obtient pas par la négation de l’histoire. Elle se réalise au contraire par la vérité et la justice.

Comme l’affirmait Louis Joinet, rapporteur des Nations Unies dans la lutte contre l’impunité, “ pour tourner la page, il faut d’abord l’avoir lue ”.Je crois par conséquent que cette célébration  reflète la volonté des Salvadoriens et des Salvadoriennes pour souligner l’importance de ce 16 janvier comme date-clé pour retrouver l’esprit de ces Accords qui constituèrent le plus grand contrat social de l’Histoire avec El Salvador.
La vérité et  la justice, fondements de la réconciliation, nous obligent à reconnaître les avancées décisives qu’ont signifié les Accords de Paix dans la pacification et dans la démocratisation de la vie politique du pays, tout comme ils nous amènent à admettre des dettes qui, n’étant pas soldées, constituent un obstacle pour l’unité et la fraternité du peuple salvadorien. C’est cela, mon intention d’aujourd’hui : lire une page importante de notre passé récent pour avancer vers le futur avec les blessures guéries, avec le passé résolu et avec la paix qui suppose, pour l’esprit, de laisser en arrière une étape aussi douloureuse que tragique.

Le message que je veux vous transmettre aujourd’hui est une part de la dette que l’Etat salvadorien a contracté il y a 18 ans avec tous ses citoyens. Et il est de ma responsabilité, actuellement, de reconnaître cette dette et de commencer à la solder. En vertu d’une lecture consciente, impartiale et responsable de la lettre et de l’esprit de ces Accords, j’ai pris une résolution que je tiens à vous transmettre et à  laquelle j’attache une véritable transcendance historique.

Comme titulaire de l’organe exécutif de la Nation et au nom de l’Etat salvadorien, en relation avec le contexte du conflit armé interne qui prit fin en 1992, je reconnais que des agents appartenant alors à des organisme de l’Etat, dont les forces armées et les corps de sécurité publique, ainsi que d’autres organisations para-nationales, ont commis de graves violations des droits humains et des abus de pouvoir, pratiqué un usage illégitime de la violence, transgressé l’ordre constitutionnel  et violé les normes élémentaires de la cohabitation pacifique.

Parmi les crimes commis on relève des massacres, des exécutions arbitraires, des disparitions forcées, des tortures, des abus sexuels, des privations arbitraires de liberté, et différents actes de répression. Tous ces abus furent commis, en  majorité, contre des civils sans défense étrangers au conflit.

Je reconnais publiquement la responsabilité de l’Etat devant ces faits, tant par action que par omission, étant donné qu’il est de l’obligation de l’Etat de protéger ses citoyens et de garantir leurs droits humains.

Pour tout  cela, au nom de l’Etat salvadorien, je demande pardon.  Je demande pardon au nom de l’Etat salvadorien aux enfants, aux jeunes, aux femmes, aux hommes, aux anciens, aux religieux, aux paysans, aux ouvriers, aux étudiants, aux intellectuels, aux opposants politiques et aux militants des droits humains. Je demande pardon à ceux qui n’ont pas pu vivre leur deuil parce qu’ils ignorent le lieu où reposent leurs êtres chers. Je demande pardon aux martyrs qui ont payé de leur vie la défense de la paix, et n’ont jamais vu leur sacrifice reconnu. Je demande pardon aux mères, aux pères, aux fils et filles, aux frères et sœurs. Je demande pardon à tous et à chacune des personnes affectées ainsi qu’à leur famille, à tous ceux qui, durant des années, ont porté ce drame dans leur cœur sans le soutien des institutions. A certaines de ces victimes les tribunaux internationaux ont déjà reconnu leur droit au  pardon. Ma demande s’adresse aussi à elles. A tous j’exprime mon respect le plus grand.

Que ce pardon rende leur dignité aux victimes, qu’il les aide à apaiser leur douleur, et qu’il contribue à guérir leurs plaies et celles de tout le pays. Que ce geste contribue à  renforcer la paix, à cimenter l’unité nationale et à construire un futur plein d’espérance.

Le 16 janvier 1992, El Salvador signa avec ces Accords de Paix l’engagement de dire «  Plus jamais »  à beaucoup de choses. Plus jamais aux violations de droits  humains. Plus jamais à  l’usage de la violence. Plus jamais à  l’abus des institutions. Plus jamais à la répression pour faire taire les idées. Aujourd’hui nous ajoutons un autre “ plus jamais ” à cette liste : ne plus jamais tourner le dos aux victimes, ne plus jamais nier notre réalité.

Cette reconnaissance et cette demande de pardon que nous formulons aujourd’hui nous amène, dès maintenant, à assumer comme objectif stratégique de la gestion gouvernementale, la restitution de leur dignité aux victimes , sans laquelle cette célébration n’aurait pas de sens et ajouterait une nouvelle frustration. C’est avec cet objectif que j’ai décidé la création d’une commission, dont la finalité unique sera de proposer à  la Présidence de la République l’adoption de mesures pour la réparation morale, symbolique et matérielle, dans la mesure des possibilités que les finances del’Etat nous offrent et avec l’obligation de fournir des résultats concrets en temps et en forme. Feront partie de cette commission : des représentants des ministères : de la défense nationale, des relations extérieures, de la santé, des finances et du secrétariat de l’inclusion sociale de la Présidence. Et le Procureur sera invité pour la défense des droits humains afin qu’il agisse en qualité d’observateur avec statut consultatif.

La voie de la dignité retrouvée pour les victimes a commencé dans le nouveau El Salvador et aujourd’hui elle a son expression  la plus déterminée. Ce gouvernement a déjà mis en évidence une nouvelle vision de la gouvernabilité du pays, en revivifiant l’esprit de la démocratisation et des droits humains dans les Accords de Paix. La création du Conseil Economique et Social reprend l’esprit du Forum Economique et Social contenu dans les accords de paix.
Nous avons ouvert des espaces institutionnels de dialogue dans la Chancellerie avec les organisations défenseurs des droits des victimes et nous sommes parvenus à des accords importants avec elles.

Par décision de la Présidence de la République, l’Etat salvadorien a décerné l’ordre José Matías Delgado, grade Grand Croix et plaque d’or aux prêtres jésuites assassinés en 1989. Ce fut dans le salon d’honneur de la maison présidentielle, le 16 novembre, le jour  même où ils furent assassinés avec deux de leurs collaboratrices, que j’ai eu l’honneur de remettre cette distinction à  leurs familles et amis. Je tiens à vous annoncer qu’aujourd’hui même je signerai le décret de création de la commission nationale de recherche  des enfants disparus, commission qui réunira les conditions requises par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Cette décision n ‘est pas seulement un acte symbolique.

C’est un acte exécutif de réconfort et de réparation à  l’un des secteurs des victimes qui ont le plus lutté pour leurs droits et qui incarnait  de nombreuses années d’efforts de notre frère disparu, le Père Jon Cortina, à qui aujourd’hui nous rendons  notre hommage et exprimons notre gratitude.

Le pouvoir Exécutif s’engage à assurer la collaboration la plus  large et la plus active avec les autorités compétentes, nationales et internationales, qui effectuent des recherches sur les causes provenant de la violation des droits humains. C’est une obligation de l’Etat de le faire et ce Président n’éludera pas sa responsabilité.

Un autre chapitre des Accords de Paix dans lequel l’Etat salvadorien s’est engagé à agir et ne l’a pas fait, c’est de garantir les droits et de satisfaire les demandes des handicapés de guerre. Il existe une dette laissée par les administrations antérieures qui n’ont pas effectué le paiement obligatoire des pensions. Mon gouvernement s’occupera de cette légitime demande dans les délais que permettent nos finances et à partir d’un accord avec les personnes concernées.

A cet effet je mettrai en place, à partir de la semaine prochaine, une table de dialogue et de négociation avec les représentants des organisations de blessés et handicapés par suite du conflit armé et avec des délégués du gouvernement pour établir le montant de la dette et les modalités de paiement. Je veux informer aussi que dans les jours prochains le fond de protection des blessés et handicapés par suite du conflit armé sera pleinement opératif, avec des programmes de  réinsertion sociale et productive, en matière de formation, d’appui à la production, de santé mentale, d’insertion par le travail, de construction d’un atelier de fabrication de prothèses et d’un système de crédit institutionnel.

Chers Salvadoriens et Salvadoriennes, à partir d’aujourd’hui, comme date symbolique, nous commençons une nouvelle relation de l’Etat avec les organisations de droits humains et celles protectrices de blessés et handicapés : à partir de maintenant elles auront dans ce gouvernement un allié qui collaborera activement à  leur tâche. Cette reconnaissance des procédés illicites, sa conséquente acceptation de responsabilité et la nécessaire demande de pardon que nous formulons aujourd’hui ne doivent être mis à profit par aucun secteur minoritaire pour tenter de semer la discorde et les divisions au sein de la communauté salvadorienne. Il nous faut des actes d’amour, plus jamais de haine . Nous avons besoin d’actes  qui restaurent la dignité, plus jamais de destruction. Nous avons besoin d’actes de solidarité, plus jamais d’égoïsme.

Nous sommes conscients que les causes structurelles qui  ont amené au conflit armé, surtout celles de nature économique et sociale, sont encore – pour beaucoup d’entre elles – sans solution, sans réponse. Ce gouvernement du changement a commencé un processus dont la finalité est  le développement économique, la distribution équitable de la richesse, et l’inclusion sociale totale, Je considère ma tâche comme une réponse à l ‘esprit qui animait la signature des Accords de Paix en 1992, dans le sens le plus plein : approfondir les valeurs de la démocratie, de l’union et de la concertation nationale et de l’engagement social, particulièrement avec les plus indigents et les plus vulnérables. Pour cela, je réaffirme aussi  aujourd’hui mon option préférentielle pour les pauvres, comme l’enseignait notre évêque martyr et guide spirituel de la nation, Monseigneur Oscar Arnulfo Romero.

Notre pays a encore besoin de cheminer sur le chemin de la démocratie totale, qui implique non seulement l’exercice systématique du vote, mais aussi la garantie de l’égalité des chances et de la justice sociale. Il n’y aura pas de paix durable, il n’y aura pas de concorde, tant que persistent les différentes formes de l’inéquité, la misère, le retard et l’exclusion des grandes majorités de l’éducation et de la santé de qualité, du marché du travail, de la culture et du progrès social.

Ce cap ne sera possible que dans le cadre de l’union nationale. Les luttes politiques pour la démocratie ne peuvent ni ne doivent compromettre cette voie, qui est celle que le peuple salvadorien a choisie : la voie de la paix, la cohabitation, la fraternité, l’amour du  prochain. Comme toujours j’ai dit : chaque Salvadorien est notre frère, chaque Salvadorienne est notre sœur.
Encore merci à tous pour votre présence dans cette célébration. Et merci aux victimes et à leurs familles de recevoir ma demande de pardon au nom de l’Etat salvadorien. Que Dieu les bénisse, qu’il bénisse le peuple  salvadorien, que Dieu bénisse El Salvador.

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