MEXIQUE : La violence aux scénarios permanents.

(Extraits de l’exposé du Dr. R. Salazar, professeur chercheur de l’Université Autonome de Sinaloa, Mexique, www.rebelion.org)

(…) C’est depuis les élections de 2006 qu’avec la tension des forces politiques due à des résultats douteux, le Mexique a pris le chemin qu’il suit aujourd’hui.
En 1998 avait été créée la Police Fédérale Préventive, qui devait traiter tous les délits du  pays. Dès l’instauration du modèle néolibéral avec les portes grandes ouvertes aux privatisations, chômage et sous-emploi s’accrurent, le taux d’homicides enfla, le crime organisé prit racine dans certains coins du pays. La gamme de délits était préoccupante : séquestres, vols de véhicules à main armée, renforcement des cartels de la drogue, fraudes fiscales considérables, trafics de sans papiers et faillites fictives d’entreprises et de banques tissèrent la trame de la carte de la délinquance dans ce Mexique du XXIème siècle.Dans son rôle de président, Felipe Calderón centra ses efforts sur deux domaines : l’armée, front dissuasif propre à contenir la vague de manifestations qui ternissaient son mandat, et la militarisation progressive du pays par le transfert d’éléments de l’Armée dans la Police fédérale préventive, puis dans la Sécurité Publique et dans la Marine, soit plus de 13 000 militaires au total. Comme s’il existait  une situation de guerre permanente avec quelque pays frontalier.

En février 2007 fut créée la Loi Antiterroriste pour suivre les recommandations du gouvernement de G.W.Bush à ses alliés. Dans la ligne de mire : le trafic de migrants, les manifestations populaires, les groupes insurgés en armes, nombreux au Mexique, plus de deux douzaines avec une organisation sommaire mais porteurs d’armes, et sans profil idéologique clair, à part les trois qui opèrent dans les zones de Guerrero, Oaxaca et Chiapas.

L’armée mexicaine compte en principe 250 000 soldats dans diverses catégories, cependant depuis l’année 2000 se sont produites de très nombreuses désertions, venant des Groupes Aéromobiles, des Groupes Amphibies des Forces Spéciales et des Forces d’Elite. Le problème est grave quand on sait qu’une grande partie d’entre eux se seraient incorporés aux mafias du crime organisé où ils mettraient à profit les stratégies apprises au sein de l’Etat.

Concernant le narcotrafic, l’Etat ne fit pas une évaluation approfondie de l’étendue des dommages possibles. Il ouvrit l’offensive sans mesurer les conséquences : au bout de quatre années d’administration calderoniste, 30 mille morts, des milliers de foyers en deuil, 7 cartels de la drogue qui contrôlent les deux tiers du pays et se disputent le reste. De décembre 2006 à juin 2010, les barons de la drogue ont blanchi 1,3 billions de pesos, soit 80 fois l’aide économique de l’Initiative de Mérida (*). Cependant l’impunité est presque totale : 53 personnes seulement jugées pour blanchiment d’argent, et les banques sanctionnées pour à  peine un million de pesos.

Les 94 500 soldats qui patrouillent dans les rues ne cherchent pas à éradiquer le narcotrafic, mais à occulter par la peur et la terreur les grandes sommes d’argent qui se diluent dans les fuites souterraines des complicités, les opérations illicites, etc, et la dévastation des secteurs populaires qui sont incorporés dans les réseaux du narcotrafic par manque d’emploi.

Le sicaire, ou tueur à gages, est un agent qui s’incorpore à  la structure efficace des cartels. Sujet sans scrupules, consommateur de drogues et hardi au point de risquer sa vie pour défendre le groupe qui l’a embauché, il peut arriver à faire partie d’une élite de confiance, et son “ salaire ” lui permet alors de porter des vêtements de marque, de conduire des voitures de luxe dérobées à ses victimes. Souvent les hommes politiques le protègent car il leur a rendu service en éliminant par exemple un leader syndical, ou en séquestrant un type gênant  qui leur faisait obstruction sur l’ascenseur de la fonction publique. Il existe une hiérarchie dans la corps des sicaires suivant les tâches qu’ils exécutent, et des spécialisations selon les formes de tortures qu’ils pratiquent …

Une partie des sicaires a pour tâche de faire pression sur les migrants centro-américains qui transitent par le Mexique pour parvenir aux Etats-Unis.Ils exigent des sommes variant de 2000 à 4000 dollars pour protéger leur passage et garantir leur arrivée par des zones que les narcos considèrent sûres pour l’introduction de cocaïne ou de marihuana. Dans certains cas les migrants sont obligés de faire partie du réseau de distributeurs détaillants de drogue dans la zone frontalière, avec le risque de mourir dans les échanges de coups de feu de bandes rivales. Si les migrants n’ont pas l’argent nécessaire pour garantir leur passage, ils sont éliminés froidement, et les fosses communes sont nombreuses près de la frontière nord du Mexique.

La complicité des tueurs à gages avec la police de migration est évidente. Bien souvent ils réalisent le travail d’identification des “ migrants sans-papiers ”  qui parcourent le pays. En contre-partie, ils bénéficient, de la part des fonctionnaires publics, de l’impunité et du silence sur les assassinats : chaque jour des centro-américains tombent sous les balles des sicaires, et le cas des 72 assassinats en août 2010 révèle une pratique quotidienne qui n’est pas dénoncée par les médias.

Les sphères officielles cherchent obstinément à réduire au silence les voix qui réclament l’arrêt de la violence exercée par les militaires et les cartels de la drogue. Pour intimider les journalistes, on a assassiné, depuis 2006, 55 reporters dont 14 en 2010, dépassant ainsi les assassinats de journalistes en Irak, pays en guerre.

Sur le territoire national il y avait en 2006 deux morts violentes pour cent mille habitants. Aujourd’hui on en dénombre 8,4. Telle est le voie actuelle suivie par le Mexique, il n’y a malheureusement pas de signe indiquant que la violence va s’apaiser. Le chômage qui atteint 12 % de la main d’œuvre active n’est pallié que par le commerce informel et les réseaux illicites. Le pays est devenu le paradis des investisseurs qui paient des salaires de misère, escamotent les prestations et contournent les lois pour éviter le paiement des impôts et les responsabilités fiscales.
(*) Initiative de Mérida : projet de coopération en matière de sécurité qui concerne les Etats-Unis, le Mexique et l’Amérique Centrale.

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