GUATEMALA ( juin 2011)

« La guerre contre le narcotrafic peut s’étendre à toute l’Amérique Centrale »

Extrait d’une entrevue avec Sandino Asturias, analyste au Centre d’Etudes Guatémaltèques (CEG). Publiée par la revue « Solidarité Guatemala » du collectif Guatemala de Paris.

Au Guatemala, Le président Colom a décidé d’attaquer le trafic de drogue en Alta Verapaz avec la même méthode qu’au Mexique. Que peut-on attendre de cette mesure gouvernementale ?
On peut s’attendre au même résultat qu’au Mexique (…). L’usage de la force militaire pour résoudre les problèmes est une vieille habitude en Amérique Centrale. Cette zone est la route pour la drogue venant du sud, qui est stockée au Mexique pour être passée aux Etats-Unis, le principal consommateur. Rien de ce qui se fait au niveau régional, concernant la drogue, ne sera utile si le principal consommateur continue à augmenter sa demande. Si les Etats-Unis ne réduisent pas leur demande, le marché ne diminuera pas et la guerre continuera.

Cette mesure est contraire aux accords de paix ?
Les accords de paix en Amérique Centrale ont proposé un modèle de société plus juste, plus égalitaire et un Etat plus fort. Mais à la place de cela c’est le contraire qui s’est produit. Avec les politiques néo-libérales et capitalistes, les pouvoirs économiques se sont renforcés et la société a été oubliée. Les demandes de développement et d’attention sociale, surtout dans  les communautés les plus éloignées du centre du pouvoir économique, ont été totalement abandonnées par l’Etat durant plus de deux décennies et ce sont les trafiquants de drogues, grâce à leur pouvoir économique, qui se sont chargés des ouvrages correspondant à l’Etat. Les trafiquants ont construit des écoles, des terrains de sport, des églises, des ponts, des rues. C’est-à-dire que l’investissement social que ne fait pas l’Etat, les cartels du Guatemala le font, et c’est comme ça depuis 15 ans.

Avez-vous peur qu’il se produise la même chose au Guatemala qu’au Mexique ou en Colombie ?
Bien sûr, les résultats parlent d’eux-mêmes. Hier encore, le Ministre de la Défense disait que dans le cadre des opérations en Alta Verapaz, il y avait besoin d’au moins 4000 soldats en plus afin de combattre le crime organisé, et c’est précisément cette même vision qui dominait à l’époque de la guerre civile, quand la seule présence qu’assurait l’Etat dans les zones oubliées était exclusivement une présence armée, la répression militaire. Il n’y avait pas de justice, pas d’éducation, de santé et même longtemps après la guerre, on continue à penser que la solution aux problèmes de trafic, c’est l’action armée. Cela a mené le Guatemala et le Mexique à affaiblir les structures de gouvernance de l’Etat et à commettre des erreurs stratégiques, comme la répression contre les communautés accusés de collaborer avec les trafiquants, mais qui n’ont souvent pas d’autre option pour survivre.

Comment s’explique tant de violence au Guatemala ?
Au Guatemala, 85 % des morts le sont par arme à feu, ce qui veut dire que la première chose à faire, c’est de désarmer la population. (…) Plus de 50 millions de munitions légales sont vendues par an, il y a 400 000 personnes armées légalement, 450 000 armes sont enregistrées  légalement et qui sait combien d’armes illégales. Un pays avec un tel niveau d’armes en circulation, un niveau de conflictualité très élevé, des institutions faibles, une présence de l’Etat réduite, une justice limitée et corrompue, peu d’investissement social, des problèmes de pauveté et de trafic, font du Guatemala le pays le plus violent d’Amérique Centrale . Le triangle nord de l’Amérique Centrale est également la zone la  plus violente du monde en temps de paix, selon le rapport 2009 sur le développement humain du PNUD.

Que pensez-vous qu’il puisse se produire en Amérique Centrale si le Guatemala déclare la guerre aux trafiquants comme en Alta Verapaz ?
C’est une petite région, avec peu de moyens pour combattre les trafiquants si on  compare avec les ressources que les Etats-Unis et le Southern Command’(*) destinent à la Colombie et au Mexique. Le problème du crime international n’est pas local, il est général et cela se démontre dans le triangle nord de l’Amérique Centrale qui comprend le Salvador, le Guatemala et le Honduras. (…) Au Guatemala une autre manière de mesurer la pauvreté est l’accès à la sécurité. Il y a 150 000 agents privés de sécurité, les entreprises informent la police qu’il y a 25 000 agents privés et 24 000 armes enregistrées, donc cela veut dire que la moitié des entreprises sont illégales et que cent mille agents fonctionnent en-dehors de tout contrôle. Le bureau de contrôle des entreprises privées de la Police Nationale Civile (PNC) comprend seulement 4 agents : c’est la proportion entre le privé et le public.

Que doit faire l’Etat du Guatemala pour combattre le fléau des trafiquants de drogue ?
Il faut combattre le crime organisé avec intelligence, de bonnes enquêtes,
l’accumulation de preuves, un travail professionnel de prévention et d’intervention. L’Etat doit établir un système national de sécurité et mettre de l’ordre dans les institutions chargées de la sécurité, en assurant une combinaison adéquate dans les services de renseignement pour que chacun réalise son travail dans un secteur spécialisé et avec des espaces de coordination.

(*) SouthCom est un des dix « Unified Combattant Commands » dépendants du département de la Défense de Etats-Unis. Il est responsable de toutes les actions militaires  US en Amérique Centrale, du Sud et aux Caraïbes.

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