COLOMBIE : La grève nationale « agraire et populaire ».

(ADITAL – ALAI – REBELION) (09-13)

Le gouvernement est perplexe, il ne parvient pas à comprendre la force avec laquelle la paysannerie a brisé le long silence de la domination. Pour les classes dominantes il semble incroyable que les humbles puissent résister, se rebeller. Pour le pouvoir il sera toujours difficile de comprendre les raisons et les attentes de « ceux d’en bas ».

Le 8 août 2013 la MIA, qui regroupe de nombreuses organisations paysannes, remet au Ministère de l’Agriculture l’annonce du « Paro Nacional Agrario y Popular » ( arrêt des activités dans les secteurs agraires et populaires) présentant une revendication en six points pour le mouvement social. Le Ministère n’en tient pas compte, mais les groupes paramilitaires réagissent violemment par courrier électronique, avec des menaces de mort à l’intention des responsables de la manifestation. Le gouvernement colombien a coutume d’assimiler toute manifestation de protestation à une insurrection armée.

Pourquoi cette grève ?
Elle a débuté le 19 août. Après 20 ans d’application de politiques néolibérales les paysans disent au gouvernement qu’ils n’en peuvent plus. Les problèmes du secteur agraire vont de la concentration des terres, de leur sous-utilisation, de l’absence d’appui de l’Etat pour les petits producteurs ( assistance technique, prix, crédits, infrastructures…) jusqu’à la perte de la souveraineté alimentaire, la livraison du marché interne aux multinationales et la disparition de la paysannerie comme résultat des traités de Libre Commerce. Les paysans demandent que cesse l’abandon dans lequel ils vivent, le non-respect des accords passés avec le gouvernement, l’éradication des champs de coca sans plan de substitution, bref le « désastre généré par les traités de Libre commerce ».

L’effet des TLC (Traités de Libre Commerce)
Selon Vía Campesina, qui exprime sa solidarité avec tous ces paysans en lutte,  « Les principales conséquences de la signature de ces traités par l’Etat Colombien se manifestent dans l’indice élevé de la concentration des propriétés terriennes, la spoliation des paysans de leurs terres,  la violation systématique de leurs droits, et l’aggravation de la violence exercée par une partie de la force publique. La protestation sociale est criminalisée et on renforce un modèle minier-énergétique  qui favorise de grandes multinationales et appauvrit de plus en plus la paysannerie. Dans ce pays si riche, 8 millions de personnes souffrent de la faim, selon la FAO. L’attitude du gouvernement rend le dialogue impossible et affaiblit la démocratie ».

Le « paro ».
La grève est dirigée « contre les TLC, pour la défense de l’économie paysanne, de la souveraineté et de l’autonomie alimentaire ». Elle  se  manifeste par des occupations de locaux, des blocages de routes, des regroupements dans une douzaine de départements colombiens. Le Mouvement pour la Dignité réunit près de 5 millions de paysans, deux cent mille travailleurs de santé, producteurs de café, de cacao, de pommes de terre, des milliers de mineurs, des camionneurs, 87 ethnies indigènes  et 4 millions d’afro-colombiens. Il dénonce l’oubli historique et le non-respect par le gouvernement des accords signés pour l’amélioration des conditions rurales, l’accès à la propriété de la terre et la reconnaissance des territoires des paysans.

Le « paro nacional, agrario y popular » débuté le 19 août a comme scénario le refus du président colombien Manuel Santos d’établir un dialogue avec les mouvements sociaux qui permette de surmonter la grave crise du secteur rural, principalement due aux politiques néolibérales comme l’approbation et la mise en œuvre des TLC.

La répression.
Dès le premier jour le mouvement est réprimé avec cruauté et les exactions de la police sont multiples. Les vidéos  circulant dans les réseaux sociaux montrent la police dérobant des vivres, urinant sur les denrées alimentaires des manifestants, frappant des gens dans leur propre maison,  détruisant éventaires et logements… L’indignation sociale s’accroit encore quand le président Santos osa déclarer que « cette grève nationale n’existe pas », ce qui contredit la féroce répression exercée, en particulier par la participation des forces de l’ESMAD (Bataillon mobile anti-émeutes).

En fait le gouvernement s’affronte à une mobilisation de proportions telles que le pays n’a pas connues dans son histoire récente. Dans  la santé, les travailleurs dénoncent des lois qui facilitent le négoce des entreprises gérant la santé; ils dénoncent le manque de médicaments et la mauvaise qualité des infrastructures de santé. Le gouvernement aurait attendu plus de 3 ans sans payer les fournisseurs, générant ainsi une dette de  plusieurs millions de dollars. Les fraudes sont légion, la corruption n’est pas sanctionnée. Les manifestants exigent en outre la suspension de la Loi de Réforme de la Santé, et un vrai débat sur les politiques d’extraction minière et d’éradication des cultures illicites.

Les camionneurs demandent la révision des prix des carburants, le respect par le gouvernement des accords passés avec le secteur des transports, la décentralisation de la Superintendance des Ports et Transports, et la restriction d’entrée dans le pays des poids lourds par la frontière équatorienne.

Le secteur agraire, caféiculteurs, riziculteurs, éleveurs de bétail, demande la mise en place de mesures pour contenir la crise de la production agro-pastorale, des garanties réelles pour l’exercice des droits politiques de la population rurale, et des investissements en santé, logement, éducation, services publics et chemins pour les populations rurales et urbaines.

Le cas du Catatumbo.(dép. Santander)
(Le río Catatumbo est un fleuve du nord-ouest de la Colombie, affluent du lac Maracaibo)
Le 11 juin avait débuté le conflit du Catatumbo, autour de l’éradication manuelle des plants de coca. Il impliqua 15 000 paysans, avec des manifestations et blocages de routes. Commencé pacifiquement, ce conflit avait engendré, au bout de 54 jours de grève,  la mort de 4 agriculteurs et plus de 50 blessés.

Les paysans demandaient que l’éradication soit suspendue jusqu’à ce qu’on dispose d’une alternative digne de permettre la vie des familles qui travaillent dans ces cultures devenues illicites. Le gouvernement doit étudier des programmes de substitution à ces cultures. Le 22 août est signé l’accord pour la suspension momentanée de l’éradication manuelle des cultures illicites. Des alternatives seront définies dans la Table ronde de dialogue du 28 août: les composantes énumérées comme mécanismes de compensation pour chaque unité familiale sont : l’assistance alimentaire, la nutrition, l’emploi rural, les projets productifs, les subventions.

Perspectives.
Les paysans colombiens demandent que cesse l’abandon dans lequel ils vivent, que les accords passés avec le gouvernement soient respectés, que l’éradication des plants de coca soit précédée d’un plan de substitution et que soit affronté le « désastre généré par les traités de Libre Commerce ».
Le dialogue de paix entre gouvernement et guérilla dure depuis presque une année. Le contexte actuel ne risque-t-il pas de compromettre une fois de plus le résultat attendu ? Le responsable des FARC dans la négociation avec le gouvernement a demandé « que l’on ne criminalise pas le droit à la protestation sociale », et il propose aussi la révision des Traités de Libre Commerce. Enfin, la guérilla a envoyé « un salut solidaire aux étudiants, aux travailleurs de la santé, aux floriculteurs, aux riziculteurs, aux autres producteurs paysans et à tous ceux qui ont élevé leur voix contre l’injustice. »

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