NICARAGUA : L’année 2014 au Nicaragua. (Source : revue ENVIO, octobre 2014)

Du mouvement … des changements … des tourments…

 Première partie

Le Pétrole et le Venezuela.
Les millions reçus par le Nicaragua grâce à l’accord pétrolier avec le Venezuela, et d’autres expressions de la coopération de Caracas ont été la clé du succcès politique d’Ortega. L’argent vénézuélien a garanti au gouvernement des ressources pour financer les programmes sociaux et élargir sensiblement l’accumulation capitaliste du groupe d’entrepreneurs du FSLN, qui tisse ses récentes fortunes avec les entreprises du consortium ALBANISA. Ce pétrole, vendu dans des conditions si favorables, a été stratégique pour garantir la stabilité de l’économie du pays. Qu’aurait été le Nicaragua sans la générosité de Chávez ?

En 2014 le scénario a commencé à changer. Des « vaches maigres » sont apparues à l’horizon. Au milieu de l’année, le gouvernement a dû reconnaitre la décélération de l’économie, manifeste déjà depuis la fin du premier trimestre. Elle fut d’abord attribuée aux effets de la grande sécheresse – la plus sévère depuis 50 ans – qui fit baisser les prix des principaux produits d’exportation du pays. Entre janvier et juillet, les prix des denrées alimentaires augmentèrent de 20 %.
L’année se termina en confirmant cette tendance. En août, le gouvernement se vit obligé de réduire de plus de trois mille millions de Cordobas le budget 2014, dans une opération d’ajustement qu’il intitula Plan B.

Au Venezuela, l’amplitude des manifestations d’étudiants début 2014 mit en évidence les fragilités d’un modèle économique qui a paralysé la structure productive de ce pays. A la fin de l’année, l’imparable chute du prix international du pétrole compliqua la situation. La proposition de Maduro à l’OPEP – réduire la production pour maintenir les prix – n’a pas rencontré d’écho et le Venezuela a commencé à réduire ses dépenses. Ce qu’il adviendra du prix du pétrole, cœur de l’économie vénézuélienne et cœur de la coopération vénézuélienne avec le Nicaragua, déterminera s’il sera facile ou difficile au gouvernement d’engraisser les « vaches maigres ».

Le grand capital.
Les généreux flux de la coopération vénézuélienne expliquent une partie du succès politique d’Ortega. Une autre explication réside dans la stratégie de neutralisation de ceux qui furent ses trois ennemis les plus acharnés dans les années 80 : la grande entreprise privée, la hiérarchie de l’Eglise catholique et le gouvernement des Etats-Unis.
En 2014 l’alliance du gouvernement avec l’élite de l’entreprise se consolide, basée sur une crainte mutuelle: les deux parties veulent à tout prix éviter de revivre la guerre d’usure des années 80. Cependant la relation gouvernement-grand capital n’est pas exempte de tensions du côté entreprise, du fait de l’excessive permissivité qui complique toutes les démarches, les pot-de-vins qui ne manquent pas, les régulations inutiles, les concurrences déloyales … sans oublier la corruption. La « neutralisation » du pouvoir des entreprises a donné des résultats mais n’occulte pas la réalité. L’année 2014 a mis en évidence l’incertitude des grandes entreprises du pays quant à sa vision du futur, ce qui se reflète dans la diminution de l’investissement privé national.

La hiérarchie catholique.
En mai 2014 la hiérarchie de l’Eglise catholique présenta à Ortega et au pays un long document bien conçu et intitulé : « A la recherche de nouveaux horizons pour un Nicaragua meilleur ». Il exprimait des préoccupations et apportait d’intéressantes données sur des thématiques importantes : les droits humains, l’institutionnalité politique, la famille, la problématique sociale, la situation sur la côte Atlantique… Ce document, sorte de « feuille de route », signifia, par son contenu, le ton et le moment où il fut publié, le « partage des eaux » dans les relations entre la hiérarchie catholique et le gouvernement.
Dans ce texte les évêques faisaient à Ortega deux propositions concrètes : »La réalisation d’un grand dialogue national auquel participeraient tous les secteurs du pays » ainsi qu »une profonde réforme politique de tout le système électoral ». Ils lui demandaient « avec tout le respect dû, qu’il offre sa parole d’honneur pour garantir en 2016 un processus électoral présidentiel absolument transparent et honnête, avec de nouveaux et honorables membres à la tête du Conseil Suprême Electoral ».

Ce document, auquel Ortega ne répondit jamais, exprimait que la hiérarchie de l’Eglise catholique n’était pas « neutralisée ». C’est pourquoi le gouvernement continue de verser des aides généreuses aux paroisses pour financer des fêtes patronales et autres activités religieuses, ce qui indique que la stratégie de neutralisation se maintient en continuel recyclage.

Les Etats-Unis: relations plus froides ?
« L’Empire » est-il « neutralisé »? L’ex-ambassadeur du Nicaragua aux Etats-Unis, Francisco Aguirre Sacasa, bon connaisseur de la politique états-unienne, commente ainsi les relations entre Managua et Washington : « J’ai toujours dit que la relation entre l’administration Obama et le gouvernement du Commandant Ortega est correcte mais pas cordiale. J’ai dit aussi que Daniel n’a pas d’amis à Washington dans aucun des deux partis, parce qu’on perçoit qu’il est anti-américain par sa rhétorique, par son vote dans les forums internationaux, par ses amis, comme le Venezuela, la Russie et l’Iran. Et parce qu’on perçoit aussi qu’il a sapé la démocratie au Nicaragua. Je crois qu’en termes géopolitiques, le sous-continent latinoaméricain n’est pas prioritaire pour Washington, et moins encore le Nicaragua. Je pense aussi que le résultat des élections avec la victoire républicaine pourrait refroidir encore davantage les relations avec le Nicaragua ».

Autres domaines.
Ortega a aussi travaillé pour « neutraliser » des secteurs de la société par différents mécanismes de contrôle : Il a réussi. La désunion de l’opposition organisée en partis, la passivité d’une bonne partie de la population qui ne sympathise pas avec le gouvernement, la dépendance que le gouvernement a créée avec ses nouveaux sympathisants des secteurs les plus pauvres, la fidélité de ceux qui ont toujours été avec le FSLN, la certitude que la classe politique est faible et facile à acheter, et la quantité de lois votées avec la majorité parlementaire en 2011, ont amené Ortega à affirmer avec enthousiasme , en juin 2014, que « le FSLN continuera de gouverner pendant des décennies »…

A Rancho Grande : NON à l’exploitation minière.
2014 a vu apparaitre des embryons de résistance au modèle imposé. Comme l’active résistance des milliers d’habitants de Rancho Grande (dép. Matagalpa) organisés sous le nom de « Guardianes de Yaoska », et hostiles au projet de mine d’or à ciel ouvert, – le projet Pavón -, de la puissante entreprise minière canadienne B2Gold, qui bénéficie du soutien du gouvernement nicaraguayen.

L’intimidation des leaders locaux qui s’opposent au projet, par la mairie, la police et l’armée, reflète l’alliance qui existe entre le gouvernement d’Ortega et les corporations étrangères. Carlos Siles, coordinateur des « Guardianes de Yaoska », dit: « L’entreprise minière trompe les gens. Ils arrivent dans les communautés avec des brigades médicales et en échange de leurs services de santé ils sollicitent ta signature et ta carte d’électeur sans te dire dans quel but tu signes, et c’est pour appuyer leur projet. » Un autre membre des Guardianes ajoute : « Ils nous harcèlent mais même en nous offrant leurs 20 mille cordobas, ils ne nous achèteront pas !  »

Fin novembre lors de la messe célébrant les 90 ans du diocèse, l’évêque Rolando Alvarez, dans une vibrante homélie, rejeta le projet minier et réclama « un référendum social authentiquement démocratique, personne par personne, auquel participe toute la population de Rancho Grande et elle seulement ! » En mars 2013 le clergé de Matagalpa avait déjà appelé la compagnie minière à « se retirer avec humilité ».
( A suivre…)

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