MEXIQUE – Les différents visages du Mexique lors des récentes élections

(article de Víctor M. Quintana S., prof. chercheur de l’Université Autonome de Ciudad Juárez, http://www.alainet.org/es/articulo/170357- Trad. B.Fieux)

Ce n’est pas le Mexique, mais plusieurs Mexiques  qui se sont révélés dans les élections du 7 juin dernier. Elections fédérales à mi-mandat pour renouveler la Chambre des Députés, « Comicios », élections  locales pour élire gouverneurs, municipalités ou renouveler les congrès dans 17 des 32 entités fédérales du pays. Il fallait élire en outre les chefs de chacune des 16 délégations qui constituent la ville de Mexico. Tout ce processus électoral a coûté aux contribuables mexicains mille quatre cent millions de dollars, ou 21 millions de pesos, plus que jamais au cours de l’histoire.
Les résultats chiffrés peuvent être très trompeurs : le parti du président Peña Nieto, le PRI, avec ses alliés, les Verts du PVEM et le syndicat des enseignants, avec les sigles du Parti Nouvelle Alliance, maintiennent la majorité à  la Chambre des Députés. En second lieu, vient le Partido Acción National (PAN),  Parti de droite. Le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), autrefois insigne de la gauche, aujourd’hui rongé par des divisions internes, des alliances avec Peña et  de multiples cas de corruption, voit ses résultats s’effondrer de presque la moitié.

Tandis que le formation de gauche, MORENA, le parti mené par Andrés Manuel López Obrador, dans sa première tentative électorale, atteint presque 9 % des votes, devance le PRD  dans la  majorité des députés de la ville de Mexico et emporte 5 de ses 16 délégations. Sur les dix partis enregistrés, deux courent le risque de perdre leur inscription, pour n’avoir pas atteint 3% des votes : le Partido del Trabajo et le Partido Humanista.

Quant aux Etats de la République, il y a changement de parti dans le gouvernement de plusieurs d’entre eux : Sonora, Nuevo León, Querétaro, Guerrero, Michoacán. Au total, actuellement, le PRI emporte 5 gouvernements pour 2 du PAN et 1 du PRD. Dans le Nuevo León, l’Etat  le plus industrialisé et l’un des plus riches du pays,  un candidat indépendant, Jaime Rodríguez, « El Bronco », s’octroie la victoire avec un total de votes qui dépasse ceux du PRI et du PAN réunis.

Le phénomène des candidatures indépendantes, avec l’ascension du MORENA, est la nouveauté de ces « comicios ». Pour la première fois, il était possible que des candidats indépendants se présentent formellement, reconnus par les organismes électoraux. Même si seulement trois ont obtenu le triomphe : « El Bronco » et deux candidats à la députation fédérale, la voie s’ouvre pour que l’électorat, las de la partidocratie et d’une classe politique arrogante, cherche de nouvelles options qui ne viennent pas grossir encore la classe politique, déjà très obèse et arrogante.

C’est précisément pourquoi l’ascension du MORENA retient l’attention. Bien qu’il ait réalisé des campagnes très austères, avec le minimum de frais, il s’est placé comme la principale force politique dans la Capitale de la République et a consolidé une forte présence dans plus de la moitié des Etats. Bonne plateforme de lancement pour la troisième candidature présidentielle de López Obrador en 2018.

Les perdants nets de la journée du 7 juin sont le PAN et le PRD. Bien qu’ils aient gagné deux postes de gouverneurs pour le premier et un pour le second, leur total de votes a diminué de manière significative. Surtout dans le cas du PRD où il a obtenu le pire résultat depuis 1991 et ressenti le passage de MORENA. L’obsession du PRD d’être une « gauche civilisée », la capture du parti par des groupes d’intérêt, sa proximité avec Peña Nieto et plusieurs scandales de corruption l’ont enfoncé dans l’agonie.

Cependant, les espoirs que peuvent susciter les indépendants et MORENA sont encore très relatifs parce  que Peña Nieto, le PRI et leurs alliés continueront de contrôler la Chambre Basse et poursuivront les « réformes structurelles » qui ont octroyé les hydrocarbures, le territoire et les télécommunications aux entreprises transnationales et aux oligopôles nationaux. Ils continueront de soutenir une politique économique qui, malgré les promesses de Peña Nieto, n’a réussi à réactiver ni l’emploi ni le revenu. Ils poursuivront aussi la guerre contre le crime organisé commencée depuis la présidence de Felipe Calderón qui a déjà coûté tant de sang et de morts au  pays.

Le continuisme du PRI-Gouvernement-Alliés se base sur l’impunité.

Impunité dans l’utilisation des ressources publiques pour financer les campagnes électorales. Impunité du Parti Vert pour avoir violé la loi électorale un jour et un autre aussi, avec la complaisance des autorités électorales et le soutien du duopôle télévisé. Le fait que les autorités, l’Institut National des Elections et le Tribunal Electoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération n’aient pas pu ni voulu mettre fin à ces pratiques frauduleuses qui ôtent aux comicios leur équité et leur sécurité, est un signe qui ne trompe pas : le système électoral du Mexique, peut-être le plus coûteux du monde, est en train de s’effondrer.

Parce que, bien qu’on dise que le gouvernement de Peña Nieto a pu, non seulement aller jusqu’au bout des élections,  mais aussi continuer à dominer la Chambre des Députés, le modèle des élections et de la représentativité politique est dans sa phase terminale. Cela, pour deux raisons : d’une part, pour la force que prennent les candidatures indépendantes qui ont déjà obtenu le gouvernement de l’Etat de Nuevo León, et, de toute façon, la mairie de Guadalajara, la seconde ville du pays.

D’autre part, pour les violentes explosions qui ont entouré ce processus électoral. Dans les Etats de Guerrero, Oaxaca, Chiapas, Michoacán, existe une insurrection sociale qui a remis en question les élections et a même cherché à les boycotter. Les multiples évènements, comme la disparition des 43 jeunes de Ayotzinapa, la répression des enseignants, la collusion de gouvernements  locaux et de partis avec le crime organisé, la persistance de l’extrême pauvreté, qui sont les identités de la plus forte marginalité du pays, ont activé un cumul de manifestations violentes, qui sont même allées jusqu’ à l’incendie de plusieurs sièges de partis et à la destruction des documents électoraux…

C’est seulement la militarisation de ces Etats, virtuel état de siège, qui a permis la tenue des élections. Mais la violence n’a pas affecté que ces entités : au cours de toutes les campagnes, furent assassinées dans tout le pays 21 personnes liées aux processus électoraux : pré-candidats, candidats, coordinateurs de campagne, militants… En outre, il y eut des Etats où le contrôle territorial par le crime organisé rendit impossible que certains partis réalisent leur campagne dans certains municipios ou qu’ils soient visités par les candidats. Ce fut le cas de Chihuahua et de Tamaulipas.

C’est pourquoi le processus électoral que nous venons de vivre dans ce pays révèle les différents Mexiques qui se sont exprimés : le Mexique des inerties, celui de la transition démocratique empêchée, celui de l’apathie citoyenne. Et le Mexique où la violence institutionnelle et la violence criminelle, presque toujours en collusion, ne laissent au peuple qu’un chemin possible : la violence en réponse. Grande question : lequel de ces Mexiques va prédominer dans les élections présidentielles de 2018 ??

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