VENEZUELA 2017 – La vitalité du chavisme

(Attilio Boron, dans Rebelión du 17/10/2017 – Trad. B. Fieux)

Dimanche après minuit, l’édition électronique du quotidien Clarín (Buenos Aires) ne disait pas un mot sur le résultat des élections vénézuéliennes. Son collègue La Nación, par contre, titrait de la manière suivante ce qui se passait au Venezuela : « Victoire écrasante du chavisme dans les élections régionales, résultats que l’opposition n’accepte pas ». Dans un cas la nouvelle est totalement ignorée, l’évènement n’a pas existé. Dans l’autre, manipulation de l’information, parce que l’insistance est mise sur le fait que, comme c’était prévisible, l’opposition n’a pas accepté sa défaite. El Nuevo Heraldo (Miami) est plus rusé, et titre ainsi : « Le chavisme gagne 17 des 23 gouvernements régionaux ; l’opposition vénézuélienne dénonce la possibilité de fraude dans les élections ».

Ce que La Nación présente comme un fait devient une possibilité de fraude pour le journal de Miami. El Nacional de Caracas soulignait aussi les 5 régions obtenues par la MUD (parti d’opposition) face aux 17 du PSUV (chaviste). En finissant d’écrire cet article, on n’avait pas encore défini la situation de l’Etat Bolivar, qui de toute façon ne pourrait altérer le paysage électoral. En Argentine presque tous les programmes d’information de la matinée de ce lundi, pro-gouvernementaux déclarés ou honteux, ne parlaient que de fraude.

Pour donner un fondement à une accusation aussi grave, ils avaient des entrevues avec d’irréprochables informateurs, tous des opposants obstinés au gouvernement bolivarien qui disaient, sans apporter la moindre preuve, que les élections avaient été frauduleuses. Pour ces pseudo-journalistes, – en réalité de perfides agents de propagande de la droite, – les paroles des perdants fanatiques d’hier sont des évidences plus que suffisantes pour rejeter le verdict des urnes.

Il est évident que le résultat enregistré hier dimanche au Venezuela est un coup dur pour la droite, non seulement celle de ce pays mais de toute l’Amérique Latine. Un revers pour les plans putchistes et destituants obsédés pour renverser Nicolás Maduro et, de cette manière, s’approprier le pétrole vénézuélien qui est la seule chose qui intéresse Washington.

Ce résultat est aussi un cas exceptionnel dans lequel un gouvernement attaqué avec acharnement de l’extérieur : guerre économique, offensive médiatique, agression diplomatique (la OEA, les gouvernements européens, etc.), menaces d’intervention du gouvernement des Etats Unis (déclarations de Donald Trump, Rex Tillerson, Mike Pompeo, et autres personnages moins connus) qui provoque d’indicibles souffrances à la population, réussit à l’emporter dans les urnes. Je ne me souviens pas d’un cas similaire où, face à cette perverse constellation de facteurs déstabilisants, un gouvernement serait sorti triomphant dans les urnes avec une majorité absolue de votes, autour de 54%.

Une prouesse semblable avait été réalisée par Salvador Allende. Confronté à une attaque très obstinée bien que pas au point de celle infligée au Venezuela, il obtint une grand résultat aux élections des députés de Mars 1973 ; en atteignant 44,2% des votes, empêchant l’opposition de droite d’atteindre les deux tiers nécessaires au Sénat pour destituer le président chilien. Même ainsi il est loin du nombre obtenu par le chavisme. Et Winston Churchill perdit les élections, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, face au travailliste Clement Attlee : 49,7% contre 36,2% pour Churchill. Les pénuries d’une guerre, déclarée ou non, affectent négativement les partis au pouvoir, et Churchill le vécut dans sa propre chair; tout ceci rehausse encore la notable victoire obtenue par le chavisme dans les élections régionales d’hier.

Bien entendu, comme c’était à prévoir, la droite parle de fraude : y aurait-il eu une telle chose dans le Zulia, le Tachira, le Merida, Nueva Esparta et Anzoátegui, où l’opposition triompha ? Où celle-ci triompha, il n’y eut pas de fraude mais une limpide consultation citoyenne. Mais où elle perdit, il y avait fraude ! Absurdité. Ces Etats sont très importants et curieusement le gouvernement du « dictateur » Maduro accepta le revers électoral sans broncher.

Comme on le sait, les relations entre la droite et la démocratie ont toujours été tendues. Leur histoire est celle d’un mariage mal assorti qui donne prétexte à une relation malheureuse. La première accepte la seconde seulement quand cela la favorise, chose qui ne se produit pas avec la gauche qui invariablement accepte le verdict négatif des urnes, comme le démontre l’histoire vénézuélienne de ces 18 dernières années.

La victoire rouge dans le crucial Etat de Miranda, arraché à Henrique Capriles, est tout un symbole de la vitalité du chavisme malgré les énormes difficultés que les Vénézuélien(ne)s affrontent dans la vie quotidienne comme conséquence principale de la phénoménale agression externe. Par la taille de son électorat Miranda est le second district du pays. Mais le chavisme a triomphé aussi dans le Lara, Carabobo et Aragua, trois Etats qui le suivent par la dimension de leur corps électoral. Mais la défaite du chavisme dans la « demi-lune » – Zulia, Tachira et Merida – Etats frontaliers avec la Colombie, est préoccupante et ne peut se résoudre à des termes électoraux. Il y a là des secteurs animés d’un fort esprit sécessioniste qui, si les conditions internes venaient à se détériorer, pourraient se convertir en une « tête de plage » décisive pour faciliter une intervention étrangère au Venezuela.

Malgré le sabotage du processus électoral et les dénonciations anticipées de fraude, lancées dans l’objectif de décourager la participation populaire aux élections, les 61,14% qui se sont rendus aux urnes – un peu plus de dix millions de citoyens – se situent au-dessus de la moyenne historique pour ce type d’élections et constituent un motif d’envie supplémentaire d’un pays dont les créances démocratiques ne sont jamais remises en question par l’idéologie dominante. Par exemple, au Chili, où durant les dernières présidentielles à peine 41,9% du corps électoral participa.

Malgré cela, la canaille médiatique ne cessa de caractériser le gouvernement bolivarien de « dictature ». Très étrange, comme le rappelait Eduardo Galeano : avec des élections chaque année – 22 avec celles d’hier -, et en acceptant les défaites quand elles se produisent. Sans doute, c’est un casse-tête pour les politologues et publicistes de l’establishment qui doivent considérer cela comme une rarissime « dictature » addict aux élections! Pour résumer : le chavisme, qui auparavant comptait 20 régions à gouverner en perd 3 et en garde 17. Mais la récupération de Miranda et Lara a une signification politique très spéciale parce qu’il s’agit de la reconquête de deux bastions depuis lesquels la droite prévoyait de relancer ses aspirations présidentielles.

Ce qui s’annonce ne semble pas difficile à discerner. Désespéré par sa frustration électorale, un secteur de la droite, aiguillonné par ses amitiés états-uniennes, annonce sa volonté de se mettre pour la 3ème fois à « chauffer les rues » et parier sur la violence criminelle comme manière d’en finir avec le chavisme. Chose qu’ils auraient fait de toutes manières parce qu’un triomphe comme celui qui leur a échappé des mains et qu’ils briguaient avec tant d’espoir (infondé) les aurait stimulés pour « aller de l’avant » et exiger la démission de Maduro et un appel à des élections présidentielles anticipées.

Comme ils ont perdu leur très faible épaisseur démocratique elle se sera liquéfiée complétement et sans doute verrons-nous ressurgir subitement la vague terroriste qui ravagea le pays durant plus de trois mois. Dans ce cas, ce sera la responsabilité du gouvernement de garantir l’ordre public en isolant les secteurs terroristes et en évitant que, avec leurs excès et leur « intransigeance », ils prennent la tête de l’opposition.

Mais pour qu’une telle chose ne se produise pas, il sera nécessaire non seulement d’empêcher avec énergie l’irruption de la violence mais aussi de renforcer les canaux du dialogue avec les forces politiques qui ont parié sur l’institutionnalité démocratique et conquis le gouvernement de cinq Etats. Le Venezuela ne peut retourner au cauchemar souffert d’avril à juillet de cette année. Son peuple ne mérite pas le retour d’un tel châtiment et la révolution bolivarienne ne doit pas revenir au bord de l’abime comme ce fut le cas durant ces mois funestes.

En somme :une importante victoire du chavisme, des succès significatifs de l’opposition dans quelques Etats de grande importance économique et géopolitique, et l’espoir que, cette fois, on évite la rechute dans la spirale de la violence politique promue avec persistance par la droite, avec l’impulsion de la Maison Blanche et la complicité des oligarchies médiatiques qui désinforment et abrutissent les populations de Notre Amérique.

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