INFOS JANVIER 2008

“ Pandillas ” et “ Maras ” en Amérique Centrale
(Source : Envío décembre 2007)
NICARAGUA : notes sur un scandale.
(Extraits traduits de l’article de María Lopez Vigil, rédactrice en chef de la revue ENVIO, oct. 2007)

“ Pandillas ” et “ Maras ” en Amérique Centrale
(Source : Envío décembre 2007)

Des bandes de jeunes qui se manifestent par un comportement anti-social, par des saccages et des larcins, on en rencontre dans la plupart des sociétés du monde. Mais les Pandillas et les Maras d’Amérique Centrale sont un phénomène différent.
Après les guerres civiles qui prirent fin en 1996, la violence politique de cette région est remplacée par une violence délinquante et criminelle.
Les chiffres officiels parlent de 70 000 pandilleros en Amérique Centrale, alors que les ONG qui travaillent sur le terrain suggèrent qu’il seraient près de 200 000. “ Ils sont accusés de toute une gamme de délits, depuis les moindres larcins jusqu’au narcotrafic ”. Selon “ La Prensa Gráfica ” du Salvador, les pandillas seraient “ actuellement le principal problème de sécurité de la région centro-américaine ”.

Les Pandillas sont des organisations urbaines collectives qui ont un nom, des règles, une hiérarchie, des codes, des modes de comportement particuliers ( vêtements, tatouages, échanges d’infos par signes, argot…). Elles sont fréquemment associées à un territoire précis, un quartier, et leurs relations avec la population de ce territoire peuvent être menaçantes ou protectrices. Les groupes, dans la très grande majorité masculins, comptent en moyenne une vingtaine de membres. L’âge des participants varie de 8 à 25 ans. Une étude de l’Institut Universitaire d‘Opinion Publique rapporte les motivations des pandilleros : 40 % sont entrés dans la pandilla pour “ être à la page ”, 21 % parce qu’ils étaient copains avec un pandillero, et 21 % pour échapper aux problèmes de leur famille. 17% seulement des pandilleros travaillent et 66 % se définissent comme “ sans occupation ”.
Il n’existe guère de facteurs déterminants pour expliquer l’adhésion à la pandilla. Mais le seul facteur qui explique la non-affiliation est d’ordre religieux : aucun jeune évangélique, du moins au Nicaragua, ne s’intègre à une pandilla. Il est vrai que les Eglises évangéliques fournissent à leurs adeptes un cadre d’organisation de leur vie qui remplit leur existence.

Les Maras ont une origine liée au phénomène migratoire. Il en existe deux, la Mara 18 et la Salvatrucha, qui fonctionnent au Salvador, au Honduras et au Guatemala. Leurs origines se trouvent dans la “ Calle 18 ” de Los Angeles : une bande fondée par des émigrés mexicains dans les années 60 accepta très vite tous les latinos. La Mara 18 s’accrut beaucoup durant les années 70-80 par l’affluence des réfugiés salvadoriens et guatémaltèques, dont un grand nombre s’intégra à la Mara pour se sentir inclus dans le contexte états-unien qui excluait les latinos.

Dans les années 80, une seconde vague de jeunes réfugiés Salvadoriens fonda un groupe rival, la Salvatrucha, et les deux Maras commencèrent à s’affronter dans les rues de Los Angeles. Après un épisode violent en 1992, l’Etat de Californie élabora de nouvelles lois pour traiter ces délinquants en adultes et les envoyer en prison. Puis en 1996, une loi du Congrès ordonna leur renvoi dans le pays d’origine, une fois la peine accomplie. C’est ainsi qu’entre 1998 et 2005, 46000 centro-américains furent renvoyés en Amérique Centrale, Guatemala-Honduras-El Salvador pour 90 % d’entre eux. Là, dans leur pays d’origine qu’ils connaissaient à peine, ils tentèrent de reproduire les comportements qui leur avaient assuré la sécurité aux Etats-Unis.

Au Nicaragua il y a des Pandillas mais pas de Maras : le taux de renvoi des immigrés nicaraguayens des Etats-Unis est très bas : moins de 3 % de tous ces renvois. Et les Nicaraguayens qui émigrent aux Etats-Unis vont surtout à Miami.Les pandillas du Nicaragua sont moins violentes que les Maras des trois autres pays.

Au Guatemala, en 2005, les deux Maras se livrèrent une véritable guerre, attaquant dans la prison des membres de la bande rivale et causant une vingtaine de morts. Le Salvador adopta la politique de la “ mano dura ” : tout suspect d’appartenir à une Mara, par ses tatouages, était immédiatement emprisonné pour 2 à 5 ans. La population carcérale doubla en trois ans. Le Honduras agit de même avec sa politique “ cero tolerancia ”. Quant au Guatemala, il adopta un plan draconien de présence militaire dans les quartiers. Mais la politique répressive de ces gouvernements n’a pas les résultats attendus. A la répression, les Maras répondent par plus de violence.…Ne seraient-ils pas aussi les boucs émissaires de sociétés très injustes ?…

NICARAGUA : notes sur un scandale.
(Extraits traduits de l’article de María Lopez Vigil, rédactrice en chef de la revue ENVIO, oct. 2007)

Octobre 2006. Dans un mois, l’élection présidentielle. Quelques femmes sandinistes s’adressent aux députés du FSLN pour leur signaler la grave violation des droits humains qu’ils ont commise en pénalisant l’avortement thérapeutique, seulement pour éviter la sanction de l’Eglise catholique pendant la campagne électorale. Pour les faire taire, les députés leur répondent qu’il ne s’agit que d’une tactique électorale : quand ils discuteront du nouveau Code pénal en 2007, ils sauront bien faire marche arrière…
De janvier à septembre 2007. Travail de lobbying intense des associations de femmes pour rétablir le droit à l’avortement thérapeutique dans la discussion du nouveau Code Pénal qui aura lieu en septembre. Les députés du FSLN sont unanimes : si la hiérarchie catholique change sa position, eux aussi. Ils recommandent donc aux femmes de “ convaincre les évêques et l’archevêque… ”. Mais les évêques déclarent qu’ils ont confiance dans le FSLN : il ne faillira pas à sa promesse de pénaliser toute forme d’avortement. Qui commande qui ? ( L’Etat nicaraguayen est laïc : article 14 de la Constitution.)
Au Nicaragua, la majorité des gens n’a pas été éduquée, ni par les Eglises, ni par les différents gouvernements, pour comprendre ce que signifie le mot “ laïc ” et chercher où trouver Dieu dans une société plurielle. Quelle compréhension les députés ont-ils du problème ?…
Janvier 2007 : le nouveau gouvernement se met en place. Devant la Cour Suprême de Justice, des dizaines de recours sont présentés pour inconstitutionnalité contre la pénalisation de l’avortement thérapeutique pour atteinte au droit à la vie, à la santé, à l’intégrité… Les magistrats doivent rendre leur sentence en juin. De janvier à juin : les femmes organisent des “ plantons ” devant la Cour. Elles exigent une réponse. Juin passe… puis Juillet…Il n’y aura pas de sentence. Certains magistrats parlent avec le Président Ortega pour savoir quelle réponse donner. “ Convainquez l’archevêque pour qu’il change de position ”, dit-il. La clé de tout, ce n’est pas la Constitution, c’est l’alliance FSLN-Eglise catholique.
Août 2007. A mesure que le débat parlementaire approche, l’expectative croît. Le mouvement des femmes évalue les chances de vote : le FSLN votera unanimement selon l’alliance FSLN-évêques catholiques. Les députés de droite, (PLC et ALN), assurent qu’ils n’ont pas de consigne de vote…
Le 12 septembre, veille du débat : les groupes dits “ Pro-Vida ” tiennent une ultime réunion avec les législateurs de la Commission Justice. Une fois de plus, ils menacent de faire excommunier les députés qui voteront en faveur de l’avortement thérapeutique .
13 septembre. Après les interventions d’une dizaine d’ hommes, la députée MRS (Mouvement de Rénovation Sandiniste) Mónica Baltodano prend la parole. Extraits : “ Si les législateurs sont préoccupés par la prolifération des avortements clandestins, ce n’est pas la pénalisation de l’avortement thérapeutique qui les diminuera. Il est démontré que la seule chose qui peut faire diminuer le nombre d’avortements, c’est l’accès aux méthodes contraceptives et surtout, le développement d’une paternité responsable, car il est démontré qu’une bonne partie des hommes ont une attitude irresponsable face à la procréation.(…) Certains ont dit que ceci est un thème qu’on a voulu nous imposer de l’extérieur, qui vient de pays étrangers à notre culture chrétienne. Mais pour votre information je vous rappelle que l’interruption de grossesse pour raisons médicales a été établie au Nicaragua en 1837, c’est-à-dire il y 170 ans !…Aujourd’hui le fait que le Nicaragua pénalise l’avortement thérapeutique nous place parmi les nations qui violent les droits humains des femmes. Nous ferons partie du nombre minuscule d’Etats cavernicoles qui préfèrent que les femmes meurent plutôt que d’interrompre une grossesse. ”
“ Ne pas violenter notre culture chrétienne ” : voilà l’argument que les ambassadeurs européens et représentants d’organismes internationaux ont entendu de la bouche du Président Ortega quand ils ont exprimé au mandataire leur surprise pour une position aussi contraire aux droits humains, dans un gouvernement qui se dit révolutionnaire, de gauche, progressiste, et “ en faveur des pauvres du monde ” ! Parmi les diplomates l’ambassadrice de Suède, Eva Zetterberg, s’est manifestée par sa volonté de défense des femmes et sa ténacité à réclamer publiquement pour elles le droit à l’avortement thérapeutique.
14 septembre, après le débat. Les mouvements de femmes du Nicaragua remercient publiquement dans la presse érite les 5 seuls député(e)s du MRS qui, par leur vote, ont défendu le droit à la vie des femmes et des jeunes filles.
Des organismes internationaux ont fait entendre leur voix dans le débat nicaraguayen. La Fédération Internationale des Droits Humains, l’organisation humanitaire Save the Children, l’Organisation Panaméricaine de la Santé… Ces positions ne trouvent aucun écho auprès du couple Ortega-Murillo.Le mouvement des femmes réalise des forums dans les universités et les instituts, des ateliers dans les quartiers, des journées d’études et de réflexion. Informations médicales et juridiques s’accumulent. “ Toutes les gamines enceintes sont des gamines violées ”, dit l’une des affiches. Et une autre : “ Député, si tu ne respectes pas ma vie, je ne respecterai pas ta loi ”.
En août, le Président venezuelien Chávez reçoit les informations sur le vote des législateurs nicaraguayens et écoute le discours de Rosario Murillo à cette occasion : “ Nous sommes catégoriques : Non à l’avortement, oui à la vie. Oui aux croyances religieuses, oui à la foi, oui à la recherche de Dieu, qui est celui qui nous fortifie tous les jours pour reprendre le chemin. Le FSLN soutient la position de l’Eglise catholique et des Eglises en général contre l’avortement sous toutes ses formes parce que c’est un attentat contre la foi, contre la vie ”. Hugo Chávez est surpris, incrédule. Il demande davantage de détails sur les politiques p ubliques du Nicaragua envers les femmes pour voir “ ce qu’on peut faire ”. Quant au gouvernement de Cuba, il décide de ne rien faire, considérant que c’est du temps perdu. La position du couple Ortega-Murillo le trouve “ désenchanté ”.
L’étroite alliance FSLN-hiérarchie catholique contraste avec la position des autres pays de l’ALBA. Le Code Pénal de Bolivie établit qu’il n’y aura pas sanction “ si l’avortement a été pratiqué afin d’éviter un danger pour la vie ou la santé de la mère ” et “ quand l’avortement est conséquence d’un délit de viol ou de rapt non suivi de mariage ”. Le Code Pénal de Cuba sanctionne seulement en cas d’avortement pratiqué de force ou contre la liberté de la femme. Au Venezuela : “ N’encourra aucune peine celui qui provoquera l’avortement si c’est le moyen indispensable pour sauver la vie de la femme ”. En Equateur l’avortement “ n’est pas puni s’il est effectué pour sauver la vie ou la santé de la femme ”.
Afin de provoquer la réflexion, les mouvements de femmes tentent d’utiliser la presse écrite. Le quotidien “ La Prensa ” accepte la publicité mais lorsque le journal apparaît avec le titre : “ Qu’est-ce que l’avortement thérapeutique ? ” la direction réagit : “ Vous faites l’apologie d’un délit et vous portez atteinte aux valeurs de notre publication ! ” (…) Quant au spot informatif, seuls les Cinemarks acceptent de le passer. Canal 11 l’accepte mais il ne passera qu’une seule fois : son patron, Carlos Pellas, l’homme le plus riche du Nicaragua, interdira cette initiative.(…)
Marcela Pérez, épouse du commandant Tomás Borge, s’exprime dans la revue “ Sept jours ” : “ Je suis pour la souveraineté des pays et des personnes. L’accès à l’avortement légal, sûr et gratuit doit être un droit pour toutes les femmes. Je ne suis pas favorable à l’avortement, aucune femme au monde ne l’est, mais ce doit être l’ultime recours désespéré face à un mal plus grand.Trop de jeunes filles meurent au Nicaragua pour un avortement mal pratiqué et beaucoup mourront encore par l’application d’une loi qui interdit de sauver leur vie. La pénalisation de l’avortement thérapeutique condamne les femmes pauvres du Nicaragua à la prison ou à la mort. ”
Septembre. Devant la polarisation et les positions rigides de la hiérarchie catholique et des groupes qui se font appeler “ Pro-Vida ” ( Pour la vie ! ) les agences des Nations Unies au Nicaragua promeuvent une rencontre technique au plus haut niveau , en proposant une médiation pour atteindre un consensus minimum permettant une formulation de compromis dans le Code Pénal qui contiendrait des exceptions à la pénalisation totale. Ortega accepte de participer à la rencontre. Les femmes reprennent espoir : “ Nous voilà sur le bon chemin… ” Mais ce n’est qu’une tactique d’Ortega : il fait traîner les choses pour organiser la réunion et ordonne au Président du Parlement d’accélérer le vote pour le 13 septembre. Pour clore la discussion.
13 septembre. Assemblée Nationale. Le Président de la Commission de Justice, le député libéral du PLC José Pallais, n’obéit pas aux ordres.Avant de voter, il a rencontré le mouvement des femmes, des juristes, des médecins. Un authentique libéral : il a fait beaucoup d’efforts pour chercher un consensus qui introduise des exceptions dans la loi… En vain.
Le 24 septembre, le Pape Benoit XVI exprime sa reconnaissance au Nicaragua “ pour sa position sur les thèmes sociaux… et considère très positif que l’Assemblée Nationale ait approuvé la dérogation de l’avortement thérapeutique ”. Puis il ajoute : “ A ce sujet, il est indispensable d’augmenter l’aide de l’Etat et de la société aux femmes qui ont de graves problèmes de grossesse ”… Mais comment les aider si aucune loi ne le permet ?
27 septembre. 50 femmes catholiques ont constitué un groupe qui n’a pas peur : elles se rendent ce dimanche à la cathédrale de Managua pour réclamer à la hiérarchie catholique des positions plus semblables à celle qu’aurait Jésus envers les femmes.On ne les laisse pas entrer. Alors certaines décident de participer à la messe et d’aller communier. Le prêtre Bismarck Conde leur refuse la communion et dans le micro les traite plusieurs fois de “ diaboliques ”. Des hommes leur jettent de l’eau bénite, les insultent et les poussent dehors.Pour la première fois, dans le lieu “ sacré ” se met en évidence l’intolérance anti-chrétienne des hommes qui se croient “ sacrés ” quand on défend les droits humains, la compassion et la justice.
Dans ce pays si résigné, avec une population aussi passive que celle du Nicaragua, aucun groupe social n’a été aussi combatif que ce mouvement de femmes qui, dans la pluralité de ses expressions, a défendu durant des mois le droit des femmes à la vie.
2 octobre. L’interdiction totale de l’avortement a conduit l’organisation Human Rights Watch à réaliser une enquête au Nicaragua. L’étude effectuée est intitulée : “ Sur leurs cadavres… ” et commence ainsi : “ Les femmes ont peur de se soigner. Et les médecins ont peur de les soigner… ” Human Rights Watch constate que l’interdiction a trois conséquences tangibles : “ Il y a refus de l’accès à l’avortement même si la vie ou la santé des femmes est en danger. Il y a refus ou longue hésitation à accorder d’autres types de soins d’urgence obstétricale. Et il y a une forte crainte des femmes à solliciter un traitement pour des urgences obstétricales. ”
En un an, depuis que toute possibilité d’avortement a été refusée au Nicaragua, 80 femmes enceintes ont décédé du fait de soins insuffisants des services publics de santé, ou de la négligence et la peur générées chez les médecins et le personnel de santé. Toutes les femmes qui sont mortes étaient des femmes pauvres. Un scandale.…

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