CHILI (septembre 2011)

(Sources : www.alainet.org,  article de Victor de la Fuente, directeur de l’édition chilienne du Monde Diplomatique – www.rebelion.org – www.agenciapulsar.org)

Le Chili vit une période inédite. Jamais, depuis 1956, un gouvernement démocratique n’avait fait face à une telle contestation populaire. Les étudiants, à l’origine de ce mouvement, ont placé le gouvernement du président Piñera dans une position délicate. Sa cote de popularité – 26 % – fait de lui le président le moins populaire depuis le retour à la démocratie.

Le 28 avril 2011, les étudiants chiliens des établissements publics et privés dénoncent le niveau d’endettement qu’implique l’accès à l’éducation supérieure. Dans un pays où le salaire minimum équivaut à moins de 300 euros et le salaire moyen à moins de 800, les jeunes et leurs familles doivent payer entre 250 et 600 euros par mois pour suivre un cursus universitaire. Dans cette situation, 70 % des étudiants s’endettent, et 65 % des plus pauvres interrompent leurs études pour raisons financières. Cinq mille environ s’en vont étudier en Argentine.

La première manifestation, de huit mille personnes,  vient rejoindre d’autres protestations sociales : prix du gaz, indemnisation des victimes du séisme de janvier 2010, respect des Indiens Mapuches, projet de barrages en Patagonie…Le 16 juin, une manifestation de 200 000 personnes dénonce “ la marchandisation de l’éducation ” en réclamant un enseignement gratuit et de qualité.

Rares en 1973, les écoles privées accueillent désormais 60 % des élèves dans le primaire et le secondaire. Moins de 25 % du système éducatif est financé par l’Etat, les budgets des établissements dépendent à 75 % des frais d’inscription. L’Etat chilien ne consacre que 4,4 % du PIB à l’enseignement alors que l’UNESCO recommande 7 %. Dans le domaine de l’université il n’existe aucun établissement public gratuit, c’est un cas unique en Amérique Latine. Les réformes Pinochet, maintenues et approfondies par les différents gouvernements depuis la chute de la dictature, ont perverti le système éducatif : il visait à l’origine à favoriser la mobilité sociale, il assure désormais la reproduction des inégalités.

Dans les années cinquante, le mouvement estudiantin du Chili a été le plus  important d’Amérique Latine “ De 1961 à 1973, la réforme universitaire fut un processus qui exigea le renforcement des fédérations universitaires, alliées à des partis, des académies et d’autres secteurs sociaux  au sein du mouvement “ Université pour tous ”. Le processus s’accéléra à partir de 1967 et déboucha sur un nouveau modèle basé sur les critères d’ouverture, de gratuité, de démocratisation de la gestion éducative. Le système éducatif chilien atteignait le plus haut niveau de qualité de son histoire.

De 1973 à 1982, la répression putschiste coûta  la vie à des centaines d’étudiants et de professeurs. Presque toutes les conquêtes de la période précédente furent perdues, surtout à partir de 1981 lorsqu’entra en vigueur la Constitution de 1980. Cette Constitution fut approuvée (grâce à une fraude) sous la dictature. Antidémocratique, elle assure presque mécaniquement la moitié des sièges du Sénat et de la Chambre des Députés à la droite chilienne, pourtant minoritaire.

En 1981, Pinochet réforme le système universitaire et élimine l’éducation supérieure gratuite. Le 10 mars 1990, la veille de son départ, il promulgue la Loi organique constitutionnelle de l’enseignement (LOCE) qui réduit encore le rôle de l’Etat dans l’éducation et délègue de  nouvelles prérogatives au secteur privé.
La reconstruction du mouvement étudiant, en résistance contre les politiques de la Concertation, commence avec la refondation de la FECH (Fédération des Etudiants du Chili) en 1996.

Durant les gouvernements successifs de la Concertation , il y eut aussi des protestations mais pas aussi  importantes. Le gouvernement réalisait quelques réformes, réussissait à faire baisser l’indice de pauvreté, mais les inégalités augmentaient. Le Chili figure aujourd’hui parmi les 15 pays les plus endettés de la planète.

Actuellement, les manifestations durent depuis quatre mois. Les étudiants se demandent légitimement : si l’éducation était gratuite il y a 40 ans, alors que le pays était pauvre, pourquoi devrait-elle être payante aujourd’hui alors qu’il est devenu plus riche ? Les  manifestants réhabilitent la figure d’Allende : ses discours sur l’éducation, prononcés il y a 40 ans, ont récemment battu des records de consultation sur internet. Son effigie apparaît de nouveau dans les manifestations.

Les étudiants ont reçu le soutien des universitaires, des parents d’élèves, des ONG, et de syndicats importants. La solidarité s’organise pour soutenir les manifestants
Pour Piñera, l’éducation est “ un bien de consommation ”. Pour les étudiants, elle est un droit. Le 4 août, le gouvernement réagit par une répression systématique et 847 étudiants sont arrêtés. Le soir même, la réaction de la population ne se fait pas attendre : des “ cacerolazos ” emplissent les quartiers et les villes.

Les étudiants persistent dans leurs mobilisations. Ils rejettent les propositions gouvernementales de baisser les taux d’intérêt de leurs emprunts, ils exigent un changement radical du système. “ En finir vraiment avec Pinochet ! ”
Ce 15 septembre, des milliers de manifestants occupent les rues de Santiago. Les travailleurs de la santé, qui observent une grève de 48h, se joignent à eux. La FECH attend une réponse du gouvernement sur un éventuel dialogue. “ Si le dialogue n’est pas constructif, nous ne renoncerons pas à la lutte ! ” Et l’éventualité d’une grève nationale est annoncée… A suivre.

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