NICARAGUA : Situation actuelle de l’éducation publique (avril 2012)

(Sources : deux articles parus dans la revue nicaraguayenne mensuelle « ENVIO » en septembre 2011 et mars 2012).

Bien que la situation de l’éducation publique au Nicaragua continue d’être précaire, et qu’elle ne puisse être planifiée qu’à moyen ou long terme, commençons par reconnaître que durant les trois dernières décennies, le pays a vécu quelques avancées. Les générations actuelles vont à l’école plusieurs années. Récemment  encore, le « droit à l’éducation » était seulement, pour les gens, le droit d’aller à l’école. Aujourd’hui on commence à  le comprendre comme le « droit d’apprendre ». Et peu à peu, on commence à réclamer une « éducation de qualité ».
Durant des années nous avons pensé ingénument qu’en promouvant un accès massif à  l’éducation, nous réussirions à avancer vers l’égalité sociale. Depuis peu, nous nous rendons compte qu’il n’en est pas ainsi : bien que nous ayons élargi l’accès à l’éducation publique et bien que la qualité de celle-ci se soit un peu améliorée,  le Nicaragua continue d’être un pays aux énormes disparités, avec un abîme entre les secteurs les plus riches et les pauvres de la société.  
La première constatation quant à la qualité de l’éducation publique  est qu’il existe une grande inégalité entre, d’une part, les zones rurales et la Côte Atlantique, et d’autre part,  les zones plus urbanisées, moins  pauvres. Dans les zones rurales éloignées, à Río San Juan, Matagalpa, Jinotega, on trouve des écoles à l’infrastructure très précaire et des enseignants dont la plupart n’ont pas eu l’opportunité de recevoir une formation adéquate. Selon des données de 2008, au Nicaragua  le pourcentage moyen d’enseignants « empiriques », c’est-à-dire sans diplôme, sans formation, est de 27,3 % à l’école primaire. Mais il atteint 42 % en zone rurale, et même 58 % à Jinotega et 68 % sur la Côte Atlantique Nord. Ainsi s’installe un cercle vicieux générant l’inégalité, car ceux qui sont nés dans une zone défavorisée reçoivent en plus un enseignement de moindre qualité.
En 1980 seulement 70 % des enfants de 7 à 12 ans assistaient à l’école. En 2008, (dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres) ils étaient 87 %. Au niveau du collège, (13 à 17 ans), on ne voyait que 22 % des enfants en 1980 et 45 % en 2008. Mais il faut noter une stagnation depuis 2005.Quant à l’éducation préscolaire, 29 % des enfants de 3 à 6 ans y avaient accès en 2000 et 58% en 2008. L’avancée du préscolaire est due surtout aux efforts de nombreuses organisations de la société civile  qui, durant des années, ont appuyé les préscolaires communautaires. Les enseignantes y sont très mal payées. Mais il faut se féliciter que la société nicaraguayenne commence à se convaincre de l’importance de l’éducation préscolaire et de la  nécessité d’offrir aux enfants des stimulations qui leur ouvrent l’esprit.
Les  pays qui  ont enregistré des avancées dans leur système éducatif sont ceux où les politiques éducatives sont des politiques d’Etat. Au Nicaragua, l’éducation est la propriété du parti qui gouverne, et chaque ministre a le pouvoir d’imposer des priorités. Ainsi, des décisions sont prises sans évaluation, des changements, – le plus souvent bien intentionnés -, sont imposés sans tenir compte des expériences acquises. Le manque de continuité dans les politiques affecte en permanence le service.L’investissement dans l’éducation n’est pas une priorité et le budget de l’éducation primaire est insuffisant. En 2008 il représentait 4,8 % du PIB et stagne depuis trois ans bien que les impôts aient augmenté. Cela signifie des salaires très bas pour les enseignants : la majorité d’entre eux gagne moins qu’une employée de maison.
Dans mes expériences  professionnelles, donnant des cours à des enseignantes pour les préparer à  des campagnes de lecture ou d’alphabétisation, j’ai remarqué que beaucoup d’institutrices motivées, disciplinées et désireuses de voir leurs élèves apprendre, n’ont pas l’idée que ce qui est vital, c’est la compréhension du texte pour pouvoir continuer d’apprendre, et ceci pour toutes les matières. Ignorant cela,  elles ont tendance à faire lire mécaniquement, et à faire travailler uniquement la mémoire. Or la mémoire est un instrument mais pas une fin en soi.  Nous devrions repenser nos méthodes.
Il n’existe pas d’étude sur l’absentéisme des enseignants. Or il est bien connu que beaucoup d’enseignants de zones rurales et de Côte Atlantique arrivent le mardi pour enseigner et s’en vont le jeudi. Souvent les élèves ont parcouru à pied un long chemin pour venir en classe et le maître n’est pas là. Quelle motivation demeure pour eux ? Par les parents je sais aussi que certains bavardent avec leur portable tout en donnant des cours à leurs élèves d’école primaire. Ce genre de problèmes perdure parce qu’il n’existe pas de mécanismes ni pour sanctionner ni pour stimuler … Il est nécessaire que le gouvernement investisse dans la formation des enseignants. Mais il faut investir dans ce qui est prioritaire : les Ecoles Normales, le matériel.… Il y a quelques années on a investi dans la création d’un institut appelé IDEAS, pour former les enfants surdoués du pays ! Est-ce bien une priorité ??
Dans le cadre de la Stratégie Nationale de l’Education, le parti du gouvernement a élaboré un Plan Stratégique 2011-2015, qu’il n’a pas communiqué aux enseignants et qui ne figure même pas sur le site du Ministère de l’Education. L’auteur de cet article a réussi à l’obtenir par des voies officieuses ! Il est regrettable que ce Plan soit administré par un groupe de personnes qui ne communiquent pas avec les autres instances de la société. Ce plan contient des données instructives : on constate que de 2004 à 2009, seulement 42 % des enfants entrés à l’école primaire à 6 ans terminent le cycle primaire.17 % abandonnent l’école dès la première année de primaire. Ce sont les enfants de familles pauvres qui quittent l’école pour diverses raisons ( pas  d’argent pour acheter des chaussures, travail infantile pour aider la famille, garder les frères et sœurs plus petits, etc…) Ce Plan Stratégique prévoit  d’obtenir que tous les enfants accomplissent les six années de primaire. Mais il faudrait déjà parvenir à ce qu’ils restent jusqu’au bout de la première année ! Il faudrait des objectifs intermédiaires.
L’infrastructure laisse souvent à désirer. Selon les données de la Fondation Nicaraguayenne pour le Développement Economique et Sociale, seulement 48 % des centres éducatifs du Nicaragua disposent d’eau potable  et de latrines. 52 % des salles de classes ont besoin de réparations. Beaucoup d’écoles manquent de pupitres, de papier. Dans bien des écoles rurales, les élèves font des km à pied pour venir en classe en apportant leur eau pour boire.
L’éducation fut  une priorité au Nicaragua en 1980, avec la Croisade pour l’Alphabétisation. Tout était orienté pour parvenir à cet objectif qui mérita la reconnaissance de l’UNESCO. Mais depuis, l’éducation ne fut plus jamais une priorité…
Tout est nécessaire.Tout est urgent. La société civile nicaraguayenne compte beaucoup d’organisations qui appuient l’éducation. De multiples campagnes sont lancées dans le but d’améliorer la qualité éducative.  Mais ceci n’est pas suffisant. Il faut accroître les efforts et leur incidence. Pour que les déficiences de notre système se  corrigent sans nous compromettre le futur, nous devrons nous unir tous, sans distinction de croyances religieuses ni de sympathies politiques, et travailler pour le Nicaragua et pour ses enfants, garçons et filles, avec toutes  les énergies possibles.

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