(Noticias Aliadas, 14/05/2015 – Traduction B. Fieux)
Lorena Gonzáles sort dans la rue tous les mercredis à 5h du matin. C’est le seul jour de la semaine où elle peut faire des achats au magasin « Abastos Bicentenario », l’une des chaînes de débit alimentaire administrée par l’Etat vénézuélien et qui commercialise des produits de base à des prix régulés, une politique mise en œuvre par le défunt président Chávez après l’arrêt pétrolier de 2003. Depuis le début de cette année, les commerces officiels rationnent leurs ventes selon le dernier numéro du document d’identité des acheteurs : ceux qui se terminent par zéro ou un achètent les lundis, par 2 et 3 le mardi, etc.
Le gouvernement de Maduro a fait installer en mars, dans les marchés et supermarchés, des machines qui empêchent qu’une personne achète plusieurs fois les mêmes produits dans une semaine. Face à la pénurie d’aliments, de médicaments, et pratiquement de tout produit importé, l’exécutif vénézuélien soutient que ces mesures permettent de mitiger le désapprovisionnement et de combattre le trafic des biens à prix régulés vers la Colombie. Pour l’opposition, ces décisions ne cherchent qu’à consolider le contrôle de l’Etat sur la consommation des citoyens.
Lorena se munit d’une chaise pliante, d’une grande thermo d’eau et d’une petite charrette pour transporter poulet, viande, sucre, lait, shampoing et deux boîtes de savon pour laver les vêtements, produits qu’il est permis d’acquérir dans ces établissements. Elle devra attendre sept heures dans les multiples files qu’elle doit suivre pour arriver au Bicentenario, se disputer des produits avec d’autres acheteurs et payer. Elle est contente parce qu’elle a obtenu au moins une pièce de chaque produit de sa liste d’achats.
« Avec cette inflation, le salaire ne me suffit plus pour acheter vers les « bachaqueros », confesse cette institutrice de primaire à Noticias Aliadas, en référence à ceux qui revendent des produits régulés avec une augmentation. Selon la Superintendance des Prix Justes, un paquet de 32 couches pour bébé coûte près de 100 bolivars : un peu plus de 15 dollars US si on calcule à 6,30 bolivars le dollar, taux officiel auquel le gouvernement importe aliments et médicaments. A Caracas, les bachaqueros le vendent à 750 bolivars (119 $), dans d’autres villes de l’intérieur il peut atteindre les mille bolivars (presque 159 $). Dans les petites villes près de la frontière avec le Brésil ou la Colombie, le même paquet vaut 1500 bolivars (238 $).
Spéculation et inflation.
Le président du service d’enquêtes Datanálisis, Luis Vicente León, calcule que le « Bachaqueo » a augmenté en moyenne de 236% la valeur des biens au Venezuela. L’an dernier on a enregistré une inflation cumulée de 63,4% et des firmes indépendantes de consultation économique et financière, comme Ecoanalitica, pronostiquent que les prix augmenteront de 200 % d’ici la fin de l’année.
Pour la société civile organisée, la principale préoccupation est la dégradation de la qualité de vie des citoyens. Dans un communiqué, le Programme Venezuélien d’Education-Action en Droits Humains (Provea) non gouvernemental, a dénoncé la pénurie comme une violation du droit à l’alimentation parce qu’il compromet « l’accès régulier, permanent et sans restrictions aux aliments à des niveaux adéquats et suffisants. »
Tandis que les autorités attribuent le désapprovisionnement à une guerre économique entreprise par les secteurs privés contre la gestion de Maduro, les chefs d’entreprises sollicitent chaque semaine des devises en liquide pour pouvoir payer aux fournisseurs internationaux les dettes accumulées depuis au moins trois ans. Identifier les responsables de la pénurie s’avère impératif pour tous les acteurs politiques au Venezuela face aux élections parlementaires prévues pour le second semestre de cette année.
« Il n’y a plus de dollars pour vous (…). Vous avez des milliers de millions de dollars à l’étranger. Pourquoi n’apportez-vous pas cet argent pour l’investir au Venezuela? » a réprimandé Maduro le 22 avril aux membres de Fedecámaras, la principale organisation de chefs d’entreprises du pays, après que son président, Jorge Roig, ait signalé que « l’unique responsable de la guerre économique est celui qui manie le monopole des dollars ». Plus d’une vingtaine de chefs d’entreprises ont été emprisonnés au cours de cette année, accusés de délits de spéculation, d’association de délinquants, et d’accaparement.
La pénurie s’est accrue après la chute de 40 % du prix du baril depuis l’an dernier, qui fit s’écrouler les revenus d’un pays qui obtient 96% de ses devises par la vente du brut, et qui historiquement a financé avec cette rente l’importation de biens qui sont consommés à l’intérieur du pays. Pour cette année, les économistes indépendants prédisent que les revenus du pétrole pourraient se réduire à 35 milliards de dollars, soit 40 milliards de moins que l’an dernier.
Violence, délinquance et politique.
L’Exécutif vénézuélien ne publie pas de chiffres sur les morts violentes depuis 2012, quand le gouvernement Chávez reconnut que 16 072 personnes avaient été assassinées au Venezuela cette année-là.
Seul le non gouvernemental Observatoire Vénézuélien de la Violence (OVV) s’aventure à faire des estimations. Il calcule que 24 980 citoyens ont été tués en 2014, 223 de plus que ceux comptabilisés l’année précédente, le taux d’homicides étant de 82 victimes pour cent mille habitants. InSightCrime, fondation qui se consacre à l’analyse et l’investigation du crime organisé en Amérique Latine et Caraïbes, situe le Venezuela comme le 3e pays le plus violent du continent américain après le Honduras et le Salvador.
La presse vénézuélienne rappelle l’assassinat de plus de 200 policiers en 2014 par des délinquants qui leur dérobèrent leurs armes réglementaires et leurs motos, ou en affrontements avec des bandes criminelles qui lancent des grenades contre les agents qui tentent de les appréhender, tout ceci dans la rue et en plein jour.
A la délinquance commune s’ajoute la violence politique : le Ministère public attribua 43 morts aux manifestations qui eurent lieu entre février et juin 2014 contre le gouvernement de Maduro. Les organisations de défense des droits humains assurent que l’on a enregistré 157 cas de tortures sur ceux qui furent capturés dans les révoltes et plus de trois mille détentions arbitraires.
Des familles d’étudiants capturés par le Service Bolivarien d’Intelligence Nationale (SEBIN) et des militants des droits humains ont dénoncé en janvier que les jeunes sont soumis à des traitements cruels dans les « tumbas », en référence aux sous-sols du siège central du SEBIN de Caracas, qui n’ont pas accès à la lumière naturelle et seraient à basse température. Cependant, le défenseur du peuple, Tareck William Saab, a démenti que les corps de sécurité de l’Etat commettent des abus comme pratique régulière et soutient la proposition du Ministère de la Défense, qui n’a pas encore été approuvée par le Parlement, d’autoriser que la Force Armée exerce non seulement des fonctions de contrôle de l’ordre public pour contenir des manifestations, mais qu’en plus elle utilise des armes à feu en cas de manifestations violentes, bien que dans l’article 68 la Constitution interdise « l’usage des armes à feu et des substances toxiques dans le contrôle des manifestations pacifiques ».
La libération des dirigeants d’opposition est devenue une revendication sans objection possible pour la dissidence et une concession non négociable pour le gouvernement. Les cas les plus emblématiques sont ceux de Leopold López, fondateur du parti Voluntad Popular et qui fut accusé d’incitation à la violence lors des révoltes de février 2014 ; l’alcalde métropolitain de Caracas, Antonio Ledezma, et Daniel Ceballos, ex-alcalde de San Cristobal, capitale de l’Etat de Táchira. Durant le 7e sommet des Amériques, qui fut célébré au Panama les 10 et 11 avril, une vingtaine d’ex-présidents souscrivirent une déclaration pour demander la libération des prisonniers politiques.
Un autre débat occupe aujourd’hui les dirigeants qui sont en liberté : définir leurs candidats aux parlementaires par des primaires ou par consensus. Début mars, les porte-paroles de la coalition de partis « Mesa de la Unidad Democrática » (MUD) ont annoncé que les aspirants à 38 des 87 circonscriptions seraient élus par vote interne. Les dirigeants du parti gouvernemental comme Diosdado Cabello, président du Parlement, ont mis en doute la légitimité de ces candidatures, tandis que les secteurs les plus radicaux de l’opposition, menés aujourd’hui par l’ex-députée Maria Corina Machado, exigent que tous les postulants soient élus dans les urnes.
Face à la décision du président étatsunien Barack Obama d’approuver le 9 mars un ordre exécutif qui sanctionne 7 fonctionnaires du gouvernement vénézuélien comme responsables de violations de droits humains dans les manifestations, et qui identifie le Venezuela comme une « inhabituelle et extraordinaire menace à la sécurité nationale et politique internationale » des Etats-Unis, l’UNASUR (Union des Nations Sud-américaines) et la CELAC (Communauté d’Etats Latinoaméricains et Caribéens) ont émis des déclarations appelant au dialogue entre les deux pays sur les principes de respect de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples, de la non-ingérence dans les affaires internes des Etats et de la nécessité d’éviter des mesures coercitives unilatérales qui contreviennent au Droit International.
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