Nicaragua : Point d’étape pour mieux comprendre la situation

Présentation de Bernadette Fieux à l’occasion de l’assemblée générale du 28 janvier 2019

1961 – 2011

Daniel Ortega fréquente le FSLN créé en 1961. Ce parti s’inspire de la lutte armée du Général Sandino, leader de la guérilla nica et inspiré par la révolution cubaine. Le FSLN veut mener une guérilla contre le régime d’Anastasio Somoza qui règne au Nica.

En 74 Ortega rejoint cette lutte armée et prend une place importante dans le mouvement. En 78 il rencontre Rosario Murillo, elle aussi engagée dans la lutte, qui deviendra sa femme en 2005.

En 79 le FSLN vient à bout de la dictature de Somoza et le Nicaragua doit alors avoir un « gouvernement de reconstruction nationale ». Ortega en devient le coordinateur en 81.

C’est la période d’enthousiasme autour de ce gouvernement. Dans ce peuple très pauvre, le FSLN, d’inspiration socialiste, lance une grande campagne d’alphabétisation qui réduit l’analphabétisme de 50% à 13%. Il ouvre des centres de santé gratuits, abolit la peine de mort, accepte les opposants politiques.

Une opposition nait : celle des Contras, soutenus par les Etats-Unis, qui s’opposent à la collectivisation des terres et refusent le service militaire obligatoire. Les affrontements armés entre Sandinistes et Contras feront 30 000 morts entre 82 et 87.

En 84 Daniel Ortega est élu pour le FSLN avec 67% des voix. Mais le Président des Etats-Unis, Ronald Reagan, décrète un embargo sur le pays un an plus tard. Les E.U. placent des mines dans les ports nicas pour empêcher le trafic maritime. Le gouvernement d’Ortega est soutenu par les puissances communistes de la région et par l’URSS.

Ce premier mandat est compliqué dans ce Nicaragua pauvre épuisé par la guerre civile, et face à un contexte international en crise. En 90 Daniel Ortega perd les élections face à Violeta Chamorro, candidate d’une alliance anti-sandiniste. Malgré tout il annonce que le parti continuera de gouverner « d’en bas » et il privatisera des biens publics avant de rendre le pouvoir.

En 96 deuxième défaite face au candidat libéral Arnoldo Aleman. En 2001 il arrive une nouvelle fois deuxième derrière le candidat libéral Enrique Bolaños. En 2006 il accède enfin au pouvoir malgré des affaires juridiques diverses.

Il ne parle plus de « révolution ». Il délaisse un peu l’idéologie de gauche sandiniste pour un pragmatisme économique. Il reste attaché à la politique sociale : il supprime les frais de scolarité, les centres de santé publics sont de nouveau gratuits; il relance des campagnes de lutte contre l’analphabétisme. Aux plus pauvres il distribue de l’argent et des produits agricoles… Ces multiples aides sociales lui ont permis de reconquérir en partie le peuple pour les mandats de 2011 et 2017.

à partir de 2011

L’autre face du pouvoir c’est sa femme, Rosario Murillo. Elle se dit poétesse et enseignante et a fait ses études à Neuchâtel et à Cambridge avant de rencontrer Ortega au moment de la révolution sandiniste.

Elle aspire à jouer un rôle et devient députée à l’Assemblée de 84 à 90.

D’abord porte-parole du Président dès 2011, en 2016 elle deviendra vice-présidente d’Ortega. C’est elle qui rédige les discours d’Ortega. C’est elle qui lui a suggèré de se marier à l’Eglise et de faire des cadeaux à l’évêque pour qu’il cesse de parler en chaire contre leur politique.

Actuellement toutes les opérations de communication sont de son initiative.. Elle est omni-présente dans la sphère médiatique. A la télévision nationale on l’entend tous les jours s’exprimer sur un ton maternel et dans des propos mielleux vantant le caractère « chrétien, socialiste et solidaire » de son action.

Les étudiants et les réseaux.

Ils sont dans diverses universités, au moins 6 Universités publiques. Depuis 2008 ils connaissent les téléphones portables et les réseaux sociaux. La vice-présidente se méfie des réseaux sociaux et pour que les étudiants restent raisonnables elle leur concède des parcs où ils pourront recharger leur téléphone. Mais les étudiants ne veulent pas se contenter de jeux d’enfants, depuis qu’ils ont découvert l’usage du portable ils communiquent beaucoup avec les réseaux et sont au courant de l’actualité.

Origine des soulèvements.

Le 3 avril 2018, un incendie éclate dans la Réserve Biologique d’Indio Maiz ( tout au sud et à l’est du Nica). La forêt flambe et Rosario chargée des informations, sous-estime le fait. Elle empêche les journalistes de se rendre sur place et menace même les habitants qui protestent. Les étudiants qui ont quelques connaissances en écologie et sur l’intérêt de cette forêt, ainsi que des personnes qui travaillent normalement dans cette zone, se groupent avec des pancartes « Ortega négligent ». Enfin au bout de 10 jours, le 13 avril, des pluies diluviennes, chose fréquente en ce lieu, réussissent à éteindre l’incendie, mais les scientifiques déplorent que l’inaction du gvt ait causé la perte de 5000 ha de forêt. Pour eux c’est la plus grande perte écologique du pays.

Peu après, une décision du gvt remet le feu aux poudres : il s’agit de l’Institut de Sécurité Sociale, en difficulté financière (voir ci-dessous ). Pour combler le déficit, le gvt veut diminuer la pension des personnes âgées qui n’ont pas pu cotiser le nombre de semaines requis, et augmenter les prélèvements des travailleurs et des retraités. Et pour les 5% de pension que le gvt va retirer à leurs grands parents ,les jeunes retournèrent dans la rue, à Managua et à León. Ils ressentent le joug insupportable d’un autoritarisme sans limites.

(INSS : Ajouté le 12/2/19 – Pourquoi l’INSS fut-elle en difficulté financière ?

Quand Ortega prit le pouvoir en janvier 2007, les finances de l’organisation enregistraient une balance positive de 1700 millions de cordobas ( les rentrées d’argent dues aux contributions des cotisations des affiliés et à celles des employeurs surpassaient les dépenses de 1700 Millions de cordobas).

En novembre 2018, 11 ans plus tard, la situation s’était inversée : la balance montrait alors un déficit de 2700 millions de cordobas. En 2006, le nombre d’employés de l’institution était de 10. En 2017 ils étaient 136. En 2006, les frais administratifs représentaient environ 6% des ressources de l’institution. Dix ans plus tard, les frais avaient doublé et représentaient plus de 12% des ressources. Le quotidien La Prensa révéla plusieurs actes de corruption, des frais de bombance avec les crédits et de fiestas avec les investissements.…

A certains moments le rendement généré par les investissements avait atteint 1400 millions de cordobas. En 2017 il était encore de 500 millions. En 2018 il se réduisait à 224 millions, et pour 2019 on estime qu’il ne dépassera pas 87 millions ! Tous ces chiffres sont officiels.

La situation de l’INSS s’est dégradée par le mauvais usage des fonds, des incompétences professionnelles et le populisme irresponsable d’Ortega… )

Suite : La rébellion populaire éclate le 18 avril, avec des barricades, des outils et des marches pacifiques, mais sans armes du côté des étudiants. Elle se prolonge plusieurs mois. Elle sera finalement écrasée – momentanément – par la police et les paramilitaires, les francs-tireurs bien outillés et bien payés. Le résultat du massacre est de 325 morts, 2000 blessés, 600 prisonniers politiques, des dizaines de disparus et plus de 30 000 exilés au Costa Rica. Participer à une marche, même pacifique, devient un délit, et les barrages, les grèves sont devenues des « actes de sabotage » et la moindre protestation est accusée de « terrorisme ».

Le gvt encourage ses partisans à la dénonciation. Des médecins ayant soigné des blessés du coté anti-gouvernemental sont destitués et des enseignants ayant participé à des marches pacifiques perdent leur emploi.

La presse connait la censure. Les journalistes qui osent décrire les faits de répression sont appréhendés, frappés, leur matériel détruit, leur personnel emprisonné. De nombreux journalistes s’exilent dans les pays voisins.

La situation générale devient critique. Dans les villes le commerce bat de l’aile, les emplois se raréfient, les prix augmentent. Cafés, bars, restaurants et autres magasins perdent leur clientèle. Il y a les « pour » et les « contre ».

Les « pour » sont évalués à 1500, résolus à maintenir Ortega au pouvoir. Ces partisans fanatiques sont employés pour être présents tous les jours sur les Rotondes de Managua en brandissant des drapeaux rouges et noirs, couleurs du FSLN. On leur assure le repas et le déplacement, ils sont totalement subordonnés aux chefs.

Dans ce contexte la crise économique se précise. Le tourisme, base de la croissance économique avec les exportations agricoles, a énormément diminué. 78% des entreprises de tourisme ont congédié au moins la moitié de leur personnel.L’extrême pauvreté est visible, on l’évalue à au moins 40% de la population.

Le régime commence à rationner le combustible. Le pétrole autrefois bon marché envoyé par le Venezuela fait désormais partie du passé.

Côté emploi, la crise a déjà provoqué la perte de plus de 400 000 emplois, dont 43% appartiennent à la construction et au commerce. Plus de 50% des emplois sont dans le secteur informel ( sans assurances ni garanties). De nombreux commerces ferment leur porte. Toutes les prévisions annoncent une chute du PIB d’au moins 4%. Le pays entre en récession.

Toutefois cette situation alarmante ne concerne pas tout le monde : la Police d’Ortega voit son budget augmenter de 24,4% par rapport à l’année précédente, pour « protection à personnalités ». L’absence de réaction de l’Armée la convertit en complice silencieux du régime.

La population réclame la fin de la répression, la liberté des prisonniers politiques, la fin de la censure de la presse, le retour à l’Etat de Droit, la réforme du système politico-électoral, et le retour au Dialogue National, tel que l’Eglise l’avait amorcé au début et qu’Ortega l’a rejeté.

Les organisations internationales réagissent lentement. La situation à venir reste en suspens. Ortega a refusé d’accueillir certaines organisations comme les représentants de l’ONU, des comités de soutien aux Droits de l’homme…. Ce que veulent la majorité des gens c’est le départ du couple dictatorial. Mais ce couple s’accroche au pouvoir.

Une délégation de onze députés du Parlement européen a séjourné du 23 au 26 janvier 2019 à Managua et a rencontré divers partenaires…Cette initiative aura-t-elle des effets tangibles ? ?…

* D’abord la visite des eurodéputés avait été repoussée par Ortega à une date indéfinie. Mais les députés ont fait pression, disant que s’ils ne pouvaient se rendre au Nicaragua, ils seraient volontiers accueillis au Costa Rica où séjournent de nombreux Nicaraguayens…Ortega a fini par céder.

* Ils ont obtenu de visiter des prisonniers et prisonnières « politiques »et ont exigé la libération des prisonniers maltraités dans les prisons. Leur emprisonnement signifie la perte de liberté mais aussi l’impossibilité de continuer leurs études, de travailler leurs terres, ou d’informer (journalistes).

* Dans certaines prisons on leur refuse des droits fondamentaux (prendre une douche, dormir dans un lit, s’alimenter, disposer d’un éclairage, suivre un traitement médical…) Ces visites ont fait l’objet d’articles de presse dans les médias. * Les conditions sont parfois infra-humaines: dormir sur une couche de béton, sans matelas, parmi la vermine – cafards, moustiques…-, dans une cellule de 2m sur 2, à l’éclairage insuffisant, qui ne leur permet que de faire quelques pas, le WC jouxtant la couche… Le député espagnol s’est emporté et a déclaré que

« dans de telles conditions matérielles on n’oserait même pas entreprendre un élevage de porcs ! »

* Les députés ont écrit après leur bref séjour pour réclamer un processus de dialogue entre gouvernement nica et opposition pour restaurer la démocratie et l’Etat de droit ( vœu pieux ? ? .…)

Qui sont les « paramilitaires » ?

Ils ne sont pas membres du FSLN mais une force organisée qui obéit aux ordre émanant du bureau présidentiel de El Carmen, et qui opère en coordination avec la police nationale. C’est une armée créée par Ortega en violation ouverte avec la loi et la Constitution. Ortega s’impose comme chef suprême des armées. Cette police a travaillé pendant 10 ans pour enquêter sur les délits, mais depuis la rébellion d’avril, on lui a assigné une mission d’espionnage politique : surveiller manifs, barrages de routes, identifier les leaders de manifs, situer leur domicile, afin que d’autres groupes exécutent détentions illégales, assassinats et disparitions …

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