FEMMES D’AMERIQUE LATINE : GUATEMALA

Voix de femmes (Source : Bulletin Solidarité Guatemala, février 2013) Témoignage de l’association MTM (« Mujeres transformando el Mundo » = Femmes transformant  le monde)

Lors de la célébration du changement de cycle dans le calendrier maya, une dirigeante communautaire :

« Nous représentons la voix des femmes !Car nous sommes discriminées de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analphabètes, pour rester soumises. Ici nous allons renaître, ils se sont trompés sur notre compte ! Nous donnons la naissance comme la Terre Mère, et nous partageons les souffrances de notre Mère. Nous sommes mères et nous souffrons s’ils nous enlèvent nos terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce système nous opprime. Ce système ne nous dira pas  comment nous allons vivre, nous allons  lui dire comment nous voulons vivre !! »Le 24 septembre 2012, victimes et témoins de l’esclavage sexuel perpétré dans le détachement militaire de Sepur Zarco (1982-1986) dans le département de l’Alta Verapaz, témoignent des outrages des soldats. Une première internationale, car jamais un tribunal national n’avait jugé un tel cas avant ce jour. Les crimes d’esclavage sont systématiques au sein des stratégies contre-insurrectionnelles, complémentaires de la répression armée et beauoup plus difficiles à juger. Il s’agit d’un processus d’isolement et de destruction  physique et psychologique des femmes, des familles et des communautés. L’appareil d’Etat voulait ainsi s’attaquer aux insurgés en frappant indistinctement la population et en imposant l’exemple de ces pratiques comme réponse à la subversion. Au Guatemala, nous devons  cette première historique à un long processus d’identification, d’accompagnement psychologique et de reconstruction de l’Histoire à partir des mémoires profondément marquées des victimes et des témoins.

Devant le juge, 15 femmes et 4 hommes témoignent anonymement : en 1982, les forces armées régulières s’installent à Sepur Zarco avec l’aide de la population. Très vite, la tristement célèbre logique s’installe : les militaires accusent les familles d’appartenir à la  guérilla ou de coopérer avec elle. Sur ces accusations arbitraires, les hommes sont arrêtés, torturés et exécutés dans le secret des murs du détachement. Les  femmes et leurs filles sont violées et réduites à l’esclavage. De nombreuses femmes vivent dans le camp militaire, sur le lieu d’assassinat de leur père, de leur mari, de leurs amis  tout en subissant les plus basses volontés de leurs meurtriers  jusqu’en 1986. Une victime résume ainsi : « Veuves, nous étions les jouets des soldats ».

A la suite du tribunal de conscience organisé en mars 2012 à l’initiative de nombreuses associations guatémaltèques et porté par la volonté des victimes d’accèder à un procès, l’association MTM commence un travail juridique, non sans entraves. A l’occasion d’une  entrevue,  Paula Barrios de MTM nous explique que « les cas d’esclavage sexuel  sont indissociables du génocide, et de la responsabilité des instances gouvernementales de l’époque, et la recherche de la vérité subit les mêmes entraves et menaces que le procès contre les responsables du génocide. » Elle regrette qu’il existe « une politique du  pardon et de l’oubli, le refus de rechercher et d’accepter la vérité du conflit armé ».

Au niveau communautaire, la situation est tout aussi préoccupante car les victimes cohabitent avec les coupables dans un contexte de tensions et de divisions internes à  l’image de la société guatémaltèque : « justice » versus « silence, oubli et impunité ».

Le défi est d’autant plus grand que le viol demeure un sujet tabou, écrasé sous la pression sociale, le caractère patriarcal de la société et l’inconscient collectif qui attribue à la victime la faute du viol. Paula mentionne une série récente de viols au cœur de la capitale, à laquelle le Ministère de l’Intérieur aurait répondu par un communiqué appelant les femmes à  » ne pas porter de tenues provocatrices ». Au-delà du sens immédiat de ce type de déclaration qui se passe de commentaire, s’installe la grave et séculaire menace de reproduire les raisonnements  inconscients qui favorisent la stigmatisation de la victime du viol.

Cécilia qui est chargée des problématiques des femmes indigènes de l’association Puente de Paz (Pont de Paix), ajoute deux grands freins au changement : l’influence de l’histoire et du droit.

« Le sexisme de notre société ne date pas seulement d’il y a 500 ans et du développement de la religion catholique au Guatemala. Si la féminité du divin dans la société  traditionnelle maya apportait un certain respect de la femme engendrant la vie à l’image de la Terre Mère, l’organisation de la communauté demeurait profondément masculine. Il serait faux de ne blâmer que la culture importée d’Europe … Les lois sont faites par les hommes, pour les hommes.
Prenons les titres de propriété des terres : sur les documents notariés, seul le nom de l’homme est mentionné. Il est donc seul propriétaire, et la famille aux yeux de l’Etat, c’est l’homme. Si une femme fuit le foyer pour violences ou viol conjugal, avec ou sans ses enfants, elle n’aura aucun moyen de subsistance, aucune terre à cultiver. Elle est donc liée à  un foyer, et le droit n’est pas fait pour lui offrir l’opportunité de lutter contre cette situation. »

Devant tous ces défis, à  l’instar des jugements pour les crimes d’esclavage sexuel commis en Yougoslavie et au Rwanda, pourquoi le cas de Sepur Zarco n’a-t-il pas été présenté devant les instances internationales ? Paula nous répond : « Nous aurions pu présenter le cas à l’étranger ! … Mais c’est ICI que les barrières doivent tomber ! »

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