CHILI : Valparaiso : l’incendie. Extraits de quatre témoignages…

  • Eliane VIdal Cortes, journaliste

« Un tsunami de feu » : Tsunami, voies d’évacuation, des mots qui se sont intégrés à notre vocabulaire depuis le tremblement de terre du sud en 2010… En réalité, cet incendie ressemblait à un tsunami, en haut des collines, qui coulait en une seconde sur une colline plus basse. C’est un incendie de broussailes, dans une propriété, qui s’est transmis à une décharge de la CONAF  (Corporation Nationale de Forêts ), et l’équipe de pompiers de la CONAF a voulu  l’éteindre. Les vents habituels de Valparaiso soufflaient très fort, sous une grande chaleur. Il a plu très peu ces dernières années, ce qui a provoqué une grande sécheresse  et favorisé l’incendie.

De plus, Valparaiso s’étend sur des collines séparées par des ravins boisés et des fourrés qui sont nécessaires pour empêcher les pluies de provoquer des éboulements, du fait que le sommet des collines est couvert de campements, de baraques sur des « terrains réquisitionnés » sans autorisation et très précaires, utlisant un peu de terrain plat et, peu à peu, s’accrochant aux parois des collines. De plus,  le ramassage des ordures n’existe pas et elles s’accumulent dans les bas-fonds. Le vent devenant de plus en plus fort, les flammes sautèrent au sommet des collines, d’une colline à l’autre,  et en même temps envahissant leurs bases. On nous expliqua que les vents se joignaient au fond des gorges avec ceux venant de la mer, ce qui provoque des changements capricieux de leur direction (…)

  • Incendio en Valparaiso, www.rebelion.org

(…) Dans ce secteur, l’un des principaux risques d’incendies est lié au négoce du bois : la quasi totalité des sinistres surgissent au milieu des monocultures de pins et d’eucalyptus qui entourent le port. Ces plantations industrielles,  grandes quantités d’arbres d’une même espèce, plantés à raison de 1600 à l’hectare, sur les collines et dans les ravins attenant, extraient d’énormes quantités d’eau du sol, épuisant les nappes phréatiques et générant ensuite de véritables déserts  où les températures et la sécheresse en font un péril constant de foyers d’incendie. Et les incendies d’origine forestière avancent dans les ravins, qui fonctionnent comme de véritables cheminées… Chaque année des centaines d’incendies de forêts éclatent surtout dans la région centrale du Chili, consommant des milliers d’hectares de plantations et de bosquets, et à l’occasion les habitations et la vie des personnes.

Le pin contient de la résine dans ses aiguilles, substance inflammable  qui avec l’exposition à la chaleur peut provoquer et propager les incendies. Les feuilles d’eucalyptus contiennent des composés volatils qui produisent des incendies explosifs, mais c’est une plante pyrophite, qui résiste bien aux incendies. Quant à l’acacia, originaire de Tasmanie, et planté dans les zones centrales du Chili, il figure dans la liste des plantes les plus inflammables. Ces trois essences représentent plus de 2,9 millions d’hectares de plantations entre la région de Valparaiso et l’Araucanie, avec  68 % de pins et 23 % d’eucalyptus. Un facteur qui favorise l’extension des incendies est la dimension des zones coupe-feux : au Canada, pays forestier par tradition, les coupe-feux mesurent 1,6 km de large. Dans les plantations chiliennes, ils se confondent avec les chemins de sortie des camions transportant les troncs coupés.…(…)

  • Karen Hermosilla, journaliste, www.puntofinal.cl.

(…) Valparaiso, ce Joyau du Pacifique créé par les pirates et les spéculateurs, est aujourd »hui comme une bijouterie sinistrée : elle ne conserve plus que le brillant des flammes qui l’ont convertie en souvenir…Mon premier reportage, à l’Ecole de Journalisme, fut sur la disparition de 21 mille millions de pesos de la municipalité portuaire, alors administrée  par le maire démocrate chrétien Hernán Pinto Miranda.  Il s’agissait surtout d’un détournement de fonds destinés au Programme de Création d’Emplois… (…) Pour gagner des votes, à l’ère Pinto, la recette la plus fameuse consistait à attribuer des terrains inaccessibles et sans services sanitaires, dans les ravins et sur les hauteurs des collines, aux « sans domicile  » les plus défavorisés. Avec le temps et de manière négligente, on finissait par les doter de  l’électricité et de l’eau potable, afin de « régulariser  » sur le papier les chaotiques et informelles habitations des collines.
En 2007 je me présentai au périodique El Mostrador avec un article consacré à la fondation de Valparaiso, qui allait se convertir en Patrimoine de l’Humanité, générant une honteuse séparation entre la ville pour touristes – sur les collines Alegre et Concepción – et le véritable Valparaiso, cet ensemble précaire qui mangeait une grande  partie de la ville. Des négoces immobiliers au bord de la côte pour accueillir les bateaux de croisière et autres négoces associés, ainsi que le show Pyrotechnique de la nuit du Nouvel An, furent les arguments des autorités pour faire honneur à la distinction de l’Unesco.  Pour les collines, on distribua quelques pots de peinture et des conteneurs à ordures pour que les milliers de chiens errants ne les dispersent plus par les rues. (…)

  • Dr Tito Tricot, sociologue et directeur du Centre d’Etudes sur l’Am. Latine et les Caraïbes CEALC  – www.adital. org.bre

(…)  Quelqu’un eut l’idée de déclarer Valparaiso zone de catastrophe, en signant un décret d’exception constitutionnelle pour légaliser l’incompétence des autorités enfermées dans leurs petits bureaux bien propres. Il était plus simple d’envoyer les Forces Armées dans la rue pour maintenir l’ordre social qui, probablement,  serait subverti par les foules de « porteños » (*)  descendus de leurs collines pour échapper au plus grand incendie de l’histoire du Chili.

Car le pouvoir a peur de ceux des collines et se réfugie dans la ville, d’où il peut  observer les collines d’une distance prudente…Il  les regarde mais ne les touche  pas, il ne veut pas avoir affaire aux gens du commun, à ceux-là même qui font travailler le port, qui l’entourent d’histoire, d’amour, de mémoire, de dignité.
Les collines, le pouvoir ne s’en souvient qu’en période électorale pour déployer ses discours clientélistes et ses fascinantes promesses. Et les gens croient, les gens votent, mais jamais les promesses ne sont tenues, et c’est pourquoi il n’y a pas d’eau aux robinets, ni de pompiers qui arrivent à temps, ni de plans d’urgence pour lutter contre les incendies de forêts.

Au mieux, peut-être que la municipalité, le gouvernement régional et national, pensaient seulement au bien de tous, à aider les victimes de cet enfer, à héberger les sinistrés. Mais je soupçonne que le plus probable est qu’ils n’ont rien pensé du tout, que peut-être même ils ne savaient pas que penser. Et c’est au milieu de ce chaos, de l’inefficience et de la confusion officielles, qu’émergea  la solidarité porteña : le peuple de Valparaiso s’auto-convoqua et s’auto-organisa sans demander la permission à personne. Sans réunions interminables, sans comités ou inutiles états d’exception qui ne parviennent pas à contrôler les incendies  ni à aider les victimes, les jeunes et les moins jeunes sont montés sur les collines, ou sont descendus vers les collines depuis d’autres collines plus élevées. Parce que presque tout Valparaiso habite sur les collines.

Ainsi des milliers de volontaires se sont mis en route pour aider les habitants qui avaient tout perdu, et ils  déplaçaient des tonnes de décombres, nettoyaient les rues, montaient et descendaient dans les ravins jour et nuit. On distribuait des aliments, des vêtements et des outils, des produits d’hygiène, on organisait des soupes communes. C’était le peuple porteño, et surtout les jeunes, avec la coopération désintéressée de volontaires venus de dizaines de villes chiliennes, qui commencèrent à rendre un visage aux collines Mariposas, La Cruz, Merced, Las Cañas, El Litre, Ramaditas… Ce ne furent ni les Forces Armées ni la municipalité. S’il n’y avait eu le travail ardu et bénévole des volontaires et des voisins, les collines meurtries du port n’auraient jamais pu se relever de leurs cendres.

Le mouvement social secoua Valparaiso, bien que les autorités aient tenté l’impossible pour faire obstacle à l’accès aux zones sinistrées : on voulut bureaucratiser la tragédie, on obligea les volontaires à s’inscrire d’avance et à porter des bracelets distinctifs, et de plus, on restreignit les horaires de montée aux collines : de 13 à 21 heures. Doit-on supposer qu’avant midi personne n’avait besoin d’aide ? Doit-on penser que le froid nocturne n’ajoutait pas à la désolation des victimes ?

C’est durant ces nuits-là que, chevauchant des gouttes de rosée,  García Marquez s’approchait de plus en plus des étoiles. Il mourait de tristesse pour Valparaiso. Le magnifique narrateur a dû rester perplexe en écoutant la journaliste de la Télévision Nationale s’exclamer sans perdre contenance que l’incendie ressemblait à « un grand asado »(*). Ou  demander à ceux qui avaient perdu  leur maison : « Comment vous sentez-vous ? Qu’allez-vous faire maintenant ? » Et interroger avec insistance les petits enfants sur leurs  jouets dévorés par le feu… Et le coup de grâce donné au grand écrivain latino-américain fut sans doute lorsque le maire apostropha un habitant en lui demandant : « Est-ce que je t’ai invité à venir vivre ici ? »

Ce profond mépris pour l’être humain faisait fulminer Gabriel qui ne pouvait supporter la parole officielle. Lui, qui maniait avec tant de délicatesse et d’habileté  des milliers de mots pour  déployer sa magie de pluie et de soleil, s’en alla illuminé, non par l’incendie, mais par la dignité des porteños et porteñas qui lui promirent d’écrire, non pas  « cent ans de solitude », mais mille ans de tendre solidarité.

(* ) Porteños et porteñas : ( habitants ) du port. / (*) Asado : équivalent du barbecue.

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