MEXIQUE – Le Mexique blessé.

(Gerardo Szalkowicz, dans Rebelion du 02/10/2017 – Trad. B. Fieux)

Le peuple mexicain souffre d’une accumulation de tragédies. Tragédies climatiques qui l’ont frappé durement durant les dernières semaines, et tragédies naturalisées qui s’abattent sur lui depuis longtemps. Un Etat absent qui arrive tard et mal quand la terre tremble, un Etat omniprésent comme engrenage d’un système de violences multiples, systématiques et quotidiennes.

Dans ces journées de fatalité et de chaos, au milieu de l’émouvante solidarité spontanée des citoyens participant aux sauvetages et dispensant leur aide aux sinistrés, un anniversaire s’imposait : les trois années de séquestration et de disparition forcée des 43 étudiants de Ayotzinapa ; anniversaire marqué par l’impunité: il n’y a aucune condamnation ni avancée significative dans l’investigation de ce crime de lèse-humanité, commis par la corporation policière et narco-criminelle qui marqua au fer rouge le Mexique contemporain.

Ayotzinapa ne fut pas un cas isolé, mais réussit à mettre un nom sur une guerre diffuse et non conventionnelle. Ayotzinapa synthétise l’hypocrisie, la stupidité et la cruauté d’un pouvoir politique dépourvu de sensibilité et pour le moins complice des faits. Durant ces 36 mois, le gouvernement de Peña Nieto dévia l’investigation, fabriqua des coupables, occulta des évidences. Il mentit effrontément. Mais grâce à l’équipe d’experts argentins et au groupe d’experts de la CIDH, on réussit à démonter la version officielle qui cherchait à tourner la page.

Ayotzinapa n’est pas une exception mais un symbole spécial qui rappelle au monde une tragédie humanitaire généralisée. Voici les données – toutes officielles – qui n’attirent pas l’attention de la « communauté internationale »- et que les médias tentent de dissimuler. Selon le Registre National des Personnes disparues ou égarées, il y a aujourd’hui 30499 personnes disparues au Mexique. Depuis 2007 on a dénombré 855 fosses clandestines et 1548 cadavres exhumés. L’Institut National de Statistiques et Géographie (INEGI) a révélé qu’il se produit plus de sept féminicides par jour. La spirale de violence vient de loin, mais a explosé durant le gouvernement de Felipe Calderón (2006-2012) et de sa « guerre contre le narcotrafic ». Ce mandat laissa officiellement plus de 121 000 morts violentes, durant les presque cinq ans de Peña Nieto on en compte déjà plus de 104 000.

De multiples facteurs expliquent la situation, mais l’un d’eux est essentiel : le Mexique paie très cher d’être la porte d’entrée vers le principal consommateur de drogues et le plus gros vendeur d’armes du monde. La célèbre phrase n’a pas perdu de son sens: « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si proche des Etats-Unis ».

Le pouvoir fabrique des monstres et nous les vend comme ses ennemis. Les grands canons médiatiques répètent : « combat du terrorisme », « guerre aux narcos », occultant que le créateur et la créature sont les deux faces d’une même monnaie qui se complètent pour continuer à accumuler des richesses. En attendant, les morts sont toujours du même côté.

Mais il y a un Mexique profond qui ne veut pas continuer à respirer du sang. On l’a constaté dans le tissu communautaire qui s’est manifesté une fois de plus en fouillant les décombres : cela se déploie en résistances multiples qui un jour s’uniront en alternative politique. Car s’il y a une chose que le peuple mexicain ne perd pas, c’est la foi. Comme on peut le lire en lettres rouges sur l’un des murs de l’Ecole Normale d’Ayotzinapa : « Bienvenue à ce qui n’a pas de commencement, bienvenue à ce qui n’a pas de fin, bienvenue à la lutte éternelle. Certains l’appellent sottise, nous la nommons Espérance ».

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